Quand
France 2, chaîne du service public, donne aux
téléspectateurs l’illusion
d’une France
moins inégalitaire.
Eléments pour un décryptage du reportage intitulé « Promotion Sciences-Po » diffusé par France 2 dans l’émission « Envoyé Spécial » le jeudi 9 Novembre 2006.
Introduction
A
quelques mois d’une élection
présidentielle que beaucoup jugent décisive, il
convient de sonder « l’air du
temps », d’évoquer
la manière dont le service public de
la télévision rend compte des grands enjeux
politiques à venir. Il va de soi
que le cadre très formaté du journal
télévisé quotidien ne permet pas aux
journalistes de la chaîne d’effectuer un
réel travail de fond. Aussi, elle
dispose d’autres émissions
(généralement en fin de soirée), pour
donner un
éclairage plus précis, plus documenté
sur un fait de société.
L’émission
« Envoyé
spécial », diffusée
à une heure de grande écoute, constitue
la vitrine du journalisme d’investigation que pratique la
chaîne. Essayons de
mettre en évidence ce que la chaîne montre, et,
par voie de conséquence, ce
qu’elle ignore ou néglige....
Choix
du thème
En
ce mois de Novembre 2006, l’enseignement supérieur
(sa qualité, son délabrement,
ses impasses), questionne la société
française. Voici un an, la crise du CPE a
montré combien la jeunesse de ce pays cherchait une place
convenable et
acceptable dans la société, était
inquiète des nombreuses difficultés concernant
son avenir professionnel. Déjà la logique du tri
social a gagné peu à peu
l’ensemble du système
éducatif ; la sélection à
l’Université est d’autant
plus brutale qu’elle est sournoise,
cachée : les étudiants inscrits dans
les classes préparatoires aux grandes écoles
bénéficient de conditions
d’études
et de réussites plus favorables que leurs camarades qui
fréquentent les bancs
de l’université. Chacun
s’interroge : comment ne pas
« décrocher » dans les
deux premières années de son cursus
universitaire ? Quelle filière choisir pour
échapper au déclassement, à la
précarisation ? Ce sujet
(l’Université, l’enseignement
supérieur, la Recherche)
méritait un traitement de fond, en dehors du
« survol » quotidien de
l’actualité. La rédaction de France 2 a
décidé de ne pas le traiter
globalement, et d’isoler dans cet univers complexe une seule
grande
école : l’Institut d’Etudes
Politiques de Paris (IEP), également appelé
« Sciences-Po ». Ce choix peut se
justifier : à travers cet
exemple précis, les journalistes du service public auraient
pu analyser les
mécanismes de sélection de
l’élite, faire découvrir aux
spectateurs les
qualités nécessaires pour effectuer ce cursus,
les efforts de préparation des
étudiants, et les débouchés de cette
prestigieuse filière. Chaque année,
l’IEP
de Paris accueille une nouvelle
« promotion »,
c’est-à-dire un
ensemble d’étudiants qui va gravir les cinq
années d’études
jusqu’à l’obtention du
très prestigieux
diplôme. Mais cela ne sera pas
« l’angle » choisi par
les
journalistes pour décrire cette
réalité.
La
télévision publique va structurer
schématiquement son récit en trois
parties : les scléroses de la
société française, les mutations
indispensables et la société
« idéale » qui va
apparaître.
STRUCTURE DU REPORTAGE
1
Une France
« sclérosée »,
paralysée par des schémas
dépassés
1.1 Exclusion sociale.
Djalal :
« Lorsqu’on sort de Sciences-Po, on a
moins de chances de rencontrer le
chômage que quelqu’un qui sort de
l’Université ».
1.2 Discriminations.
Morgane
(étudiante « ZEP) : « Moi
j’ai entendu une fille me dire (c’était
scientifique, elle l’avait lu dans un livre) qu’en
banlieue, on n’avait que
cent mots de vocabulaire. Ou
alors : « T’es du Sud,
tu viens de
ZEP, t’es « de
gauche », t’es pauvre : on ne va
pas parler
d’Europe avec toi » !
// M.
Richard
Descoings, Directeur de Sciences-Po : « Il
y a cinq ans, les réflexes de caste
étaient bien là ».
1.3 Privilèges.
Journaliste, studio :
Le premier reportage nous
emmène dans le sacro-saint de l’élite
française, Sciences-Po à Paris : une
école prestigieuse majoritairement
fréquentée par des jeunes de milieux
privilégiés.
1.3 Frustrations scolaires
et sentiment d’injustice
de la classe populaire : [à propos de Louise,
grand-mère d’Aurélie,
élève
« ZEP »] : Journaliste
(voix « off ») :
« Dans cette famille, d’autres ambitions
ont été étouffées. A
cinquante
ans de distance, Aurélie a vengé sa
grand-mère Louise, la bonne
élève ;
Louise, première au certificat
d’études, et pourtant retirée de
l’école la même
année » [ Louise évoque sa
brève scolarité ]. Grand-mère
Louise :
« J’aurais voulu être
institutrice ! ». // Journaliste
(voix « off ») :
« Souvent ils [les étudiants
« ZEP »] se
débattent avec des sentiments contradictoires :
faute d’avoir le niveau et gênés
d’être rentrés par la petite porte,
bonheur de
s’en être sortis, et culpabilisé
d’avoir laissé derrière soi les anciens
copains du lycée »
1.5 Inégalités.
M. Begag, Ministre délégué pour
l’Egalité des chances :
« Vous êtes comme moi : on est
des
enfants de pauvres, des gens qui n’ont pas eu tout dans la
main et notamment
les réseaux (quand on est riche, on a des
réseaux !). Besoin d’un stage
pour mon enfant ? [M. BEGAG claque des doigts]
Téléphone !
Besoins d’une grande école ?
Téléphone ! Besoins de piston ?
Pas
de problème ! Y a tout ! T’as
faim ? Ouvre le frigo ! Nous,
y a pas grand-chose... faut arracher... faut se
battre ! »
2
Des mutations sociales indispensables pour
dépasser les archaïsmes
2.1 Ce dont
il faut se débarrasser
2.1.1 Les
inégalités. Journaliste
(voix « off) :
L’égalité des
chances, elle n’allait pas de soi dans la France de
Louise ! L’émigration,
la ghettoïsation n’ont rien
arrangé... // Aurélie
« la
blonde » :
« D’ici cinq ans, d’ici dix ans,
on aura des
diplômés de l’ENA qui seront
d’origine ouvrière, peut-être
même issus d’un
milieu d’illettrés ou
d’analphabètes : ça
c’est quand même un
progrès ! Parce que des études
à Paris, c’est cher ! Parce que quand
on naît dans une famille d’ouvriers, on
n’a pas les mêmes chances que quand on
naît dans une famille de cadres »
2.1.2 Un certain
conformisme français : Journaliste
(voix « off ») :
« Cette histoire commence comme un
roman français : les héros ont de
l’étoffe, mais pas de fortune, du
talent, mais pas de relations ».
2.1.3. Une conception
dépassée de l’élitisme
républicain : Journaliste
– studio : « Pire,
leur arrivée il y a cinq ans à Sciences-Po avait
provoqué une levée de
boucliers et ces des critiques (crainte d’une
dévaluation du diplôme, atteinte
au principe de sélection au mérite), mais le
Directeur, Richard Descoings, a
tenu bon »
2.1.4 Un sentiment
d’infériorité qui empêche la
classe populaire de se réaliser pleinement :
Aurélie, étudiante
1° année : « Au
début j’avais une tendance à
m’auto
censurer, j’avais une sorte de culpabilité
d’être là, j’avais surtout le
sentiment de ne pas être à ma place ».
// Journaliste (« voix
off ») :
« Aurélie n’aurait pas
tenté Sciences-Po
par le concours classique : trop aléatoire, trop
prestigieux même ! »
2.1.5. Un sentiment
d’infériorité lié
à de vraies
lacunes. Journaliste (voix
« off ») :
« Toutes
sont passées par des moments de grand
découragement, submergées de travail,
handicapées par leurs lacunes,
intimidées par la culture
générale de certaines
étudiants ». // Journaliste (voix
« off ») :
« Gilles est confronté à une
matière avec
laquelle on ne peut tricher, une matière qui
révèle les origines
sociales : l’anglais ». // Djalal,
dans son lycée, prépare avec ses professeurs
l’oral de l’IEP :
« Ici, on n’est pas forcément
plus cons
que ceux qui habitent dans le
XVI° ! ». // Journaliste
(voix « off ») :
« Djalal n’est pas ce qu’on
appelle un
« élève
scolaire » ! ».
2.1.6. Effacer son
identité provinciale ou
étrangère, ses
« différences ».
Journaliste (« voix
off ») :
« Dans leur chambre de la résidence
universitaire,
Aurélie et ses camarades ont le droit de se
relâcher et de parler avec leur
accent « d’avant ». // Journaliste
(voix « off »)
[à propos de Djalal, né en
Algérie] : « Il
y a 18 ans, sa famille a fui la guerre civile et la menace des
islamistes ».
2.2 Ce
qu’il faut acquérir
2.2.1 La mixité
sociale : Journaliste – studio :
« l’école joue le jeu de la
mixité sociale en sélectionnant les
lycéens
brillants qui n’auraient jamais envisagé de
s’asseoir sur ces bancs ».
2.2.2 Passer du rêve
à la réalité, entrer dans la
jungle libérale et accéder aux plus hautes
responsabilités : journaliste – studio :
« ils peuvent désormais rêver
de finance internationale ou de carrière
dans la haute administration ».
2.2.3
Une
nouvelle manière de gouverner. Journaliste
(voix
« off ») :
« C’est leur histoire que nous allons
raconter, l’histoire collective d’une
expérience de « discrimination
positive à la française ».
2.2.4 Un renouvellement
des élites. Journaliste
(voix « off ») :
« Publicitaires, mais aussi politiques
ou entrepreneurs, bientôt peut-être la France
« Black / Blanc /
Beur » aura des élites qui lui
ressemblent ».
2.2.5 Cultiver
l’ambition et le sens de la répartie.
Michelle Cotta, journaliste et membre du
jury à l’IEP :
« Je connais peu de candidats qui ont autant de
motivation
qu’eux ! » // Journaliste
(voix « off ») :
« Face au jury, le sens de la répartie de
Djalal va-t-il jouer en sa
faveur ? ».
2.2.6 Croire aux miracles.
Journaliste
(voix « off ») :
« Megda est inscrite en Bac
Technologique : pas vraiment la meilleure filière
pour décrocher
Sciences-Po... ».
3
Une France
« mélangée »,
ouverte et conquérante qui se réalise enfin
grâce au Libéralisme
3.1 L’ascenseur
social fonctionne parfaitement :
« Grand-mère Louise :
« J’aurais voulu être
institutrice !
Ensuite ma fille [la mère d’Aurélie]
s’est basée là-dessus et a
dit :
« je vais te faire
plaisir ! » [Gros plan de la
mère
d’Aurélie]. Journaliste
(voix « off ») :
« En fait, c’est une histoire familiale
à trois étages ! ». Mère
d’Aurélie- institutrice :
« Voilà, on monte en grade ! ».
3.2 L’ascenseur
social (bis) : Journaliste
– studio : « Aujourd’hui,
ces nouvelles recrues se comptent
par centaines »
3.3 L’ascenseur
social (ter) : Journaliste
– studio : « Et
désormais, le mouvement est lancé : de
plus
en plus d’écoles ouvrent leurs portes à
des lycéens issus de
« milieux » ou de
« zones »
défavorisées. L’an dernier,
soixante d’entre elles ont mis en place un tutorat dans le
cadre de l’égalité
des chances ».
3.4 L’ascenseur
social fonctionne parfaitement (Fin).
Journaliste
(voix
« off ») : « Ca
ne se voit pas sur une photo [les
lauréats « ZEP » du
concours 2006], mais ces 75 admis ont
déjà
grimpé l’échelle sociale ;
leur destin a changé de cours ».
3.5 Fréquenter
les puissants. Journaliste
(voix « off ») :
« Pour célébrer leur dernier
jour
d’étudiant, le plus haut magistrat de France est
venu leur parler, le banquier
le plus puissant aussi ! ».
3.6 La conquête
de l’Amérique : [Salem,
étudiant en 3° année, effectue un stage
aux USA. Il ne vient pas chercher
fortune : il va servir son pays. Du haut du gratte-ciel qui
abrite le Consulat
de France,le jeune issu des banlieues contemple, à ses
pieds, la prestigieuse Seattle,
siège de Boeing et de Microsoft].
3.7 Intégration
réussie dans les valeurs libérales :
Journaliste (« voix
off ») :
« Ouvrir la
porte à quelques lycéens modestes, les dispenser
du sacro-saint concours n’a
pas tout révolutionné : Sciences-Po
reste Sciences-Po... élitiste,
parisienne, et, osons le mot, bourgeoise ».
3.8 Le renforcement de la
bourgeoisie par la mixité
sociale engendre... la Beauté : Journaliste
(voix
« off ») : Ces
élégantes et ces élégants
sont en cinquième
année. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils respirent la
réussite ».
QUELQUES
ELEMENTS POUR POSER
LE DEBAT.
1 – La
massification réussie de l’enseignement
supérieur. Notre système
éducatif, comme il l’a toujours fait, place
plutôt les
enseignants les plus expérimentés
dans les lycées de centre-ville, et les jeunes
certifiés tout juste sortis des
IUFM dans les ZEP, les «quartiers
défavorisés ».
Malgré ces choix
institutionnels paradoxaux, alors que dans les années
cinquante, 5 % d’une
classe d’âge accédait au Bac, ils sont
aujourd’hui 62 % d’une classe d’age
(lauréats d’un Bac général,
technique ou professionnel) à obtenir le droit de
poursuivre leurs études dans l’enseignement
supérieur.
2
– Sciences-Po
2.1 Une école
prestigieuse. Si
cette école bénéficie d’un
réel
« prestige », cela ne signifie
nullement qu’elle impose des
« artifices
séducteurs » ! Bien au
contraire, loin de toute
magie, elle « exerce un attrait, elle impose le
respect
l’admiration ». Incontestablement, elle
« frappe
l’imagination ».
Pourquoi ?
2.1.1 Un concours
d’accès parmi les plus difficiles
pour les non scientifiques. 90% des
candidats à l’examen d’entrée
ne seront pas reçus... Ici aussi, une préparation
spéciale au concours est conseillée. Une
soixantaine de lycées publics en
France, tous d’égale qualité,
préparent les étudiants à cette
épreuve (il
semble que la « Prépa
IEP » du lycée Lakanal à
Sceaux obtienne
d’excellents résultats...). A noter que les plus
cotées de ces prépas...
sélectionnent déjà leurs
« préparationnaires »
sur concours ! En
ce qui concerne les 30 établissements privés qui
dispensent cette préparation à
l’année, les droits d’inscription
peuvent varier de 4 400 à 6 400
euros. Le concours d’accès à
Sciences-Po se révèle (selon une
enquête du
CEVIPOF – parue en Mars 2004) « socialement
très discriminant ».
Par exemple (inégalité géographique),
l’enquête révèle
« qu’un non
parisien a 2,3 fois moins de chances de réussir
l’examen d’entrée à
Sciences-Po
qu’un parisien ». Les candidats
issus des catégories
socioprofessionnelles les moins favorisées (CSP-) sont
également pénalisés
(inégalité sociale) :
« Ceux qui maximalisent leurs chances de
réussite sont ceux qui ont une absolue maîtrise de
l’expression écrite, ceux
dont l’environnement familial et culturel est le plus
favorisé, ceux qui ont eu
la chance d’avoir accès aux meilleures formations
dans les meilleurs lycées des
centre-ville » précisent les
chercheurs du CEVIPOF. A Sciences-Po, en
2001, les enfants d’employés sont 6 fois moins
représentés qu’à
l’Université,
les enfants d’ouvriers 12 fois moins... Les
« héritiers (pour parler comme
le sociologue Pierre Bourdieu) triomphent toujours ! Ils
incarnent encore
la tendance de la société française
à la « reproduction »
et au
cloisonnement.
2.1.2 Les classes sociales
« supérieures ». Les
étudiants issus des classes sociales
supérieures (cadres, professions intellectuelles et
métiers de
l’enseignement) tendent à choisir des
études plus longues que les étudiants
fils et filles d’ouvriers ou d’employés.
Les étudiants issus des classes
supérieures investissent massivement les classes
préparatoires aux grandes
écoles (CPGE), et beaucoup, guidés par des
réseaux personnels et familiaux,
envisagent d’intégrer Sciences-Po (en 2001, 24 %
des candidats suivaient une
préparation particulière dans les
hypokhâgnes option Sciences-Po). Quel est le
portrait social des admis au concours d’entrée
à Sciences-Po en 1998 ? 56
% des admis sont des enfants de cadres et professions intellectuelles
supérieures, 16 % sont des enfants d’enseignants,
10% sont les enfants de chefs
d’entreprise.
2.1.3 Des
débouchés prestigieux :
L’école propose une dizaine de masters dans
les domaines où le savoir-faire de Sciences-Po est largement
reconnu par les
recruteurs (Affaire publiques, Métiers de
l’Europe, Carrières Internationales,
Droit économique, mais aussi Communications, Management de
la Culture et des
média, Journalisme). Pour accompagner
l’accroissement continu des candidatures,
(+ 50 % en trois ans), Sciences-Po augmente ses capacités
d’accueil : Le
nombre d’étudiants est passé de
4 000 au milieu des années 90 à
près de
6 000 aujourd’hui. Trois grands secteurs constituent
les débouchés
principaux des étudiants de l’IEP : les
entreprises (pour environ 75 %
d’entre eux, l’administration (20 %) et
l’enseignement / recherche (5%). Pour
accéder aux grands corps de l’Etat (Conseil
d’Etat, Cour des Comptes ou
Inspection des Finances), mieux vaut passer par l’Ecole
Nationale
d’Administration (45 places offertes au concours externe en
2005), école qui
réussit particulièrement bien aux
étudiants diplômés de l’IEP
Paris...
2.1.4
Une école sclérosée par son
recrutement élitiste ?
La société
bouge. La culture « populaire »
rejoint souvent la culture
« élitiste » (sauf
pour le concours
d’entrée à Sciences-Po !). La
société fait bouger les entreprises, qui
doivent « sentir l’ai du
temps » pour vendre leurs produits (un
yaourt médicament / une eau minérale humanitaire
/ une voiture écologique / un
produit vaisselle masculin). Il leur faut également
« cibler » de
nouveaux publics, en France et à
l’étranger. Accor, BNP Paribas, EDF, HSBC,
L’Oréal, Schlumberger, SFR, Suez, Total, Unilever
France, toutes ces
entreprises ont rejoint le comité de parrainage des
« conventions ».
Elles soulignent ainsi l’enjeu de la diversification de leur
propre recrutement
comme facteur de croissance et de développement au moment
où les marchés sur
lesquels elles évoluent sont de plus en plus complexes. A
noter que vient de se
mettre en place à l’école un parrainage
des étudiants de master par des cadres
dirigeants d’entreprise.
Paradoxalement,
la maîtrise des humanités gréco-latines
ne suffit plus ; mais la
connaissance des « cultures
urbaines » (tags, rap, hip-hop) ne suffit
pas à elle seule pour conquérir de nouveaux
marchés ! Le mélange des deux
pourrait se révéler productif : sans
toucher la structure profonde de
Sciences-Po, le fait d’insuffler – à
dose homéopathique – un regard plus ouvert
sur le monde ( ses contradictions et ses évolutions)
pourrait améliorer
l’efficacité de l’ensemble. Or
Sciences-Po est depuis longtemps un
établissement socialement discriminant où les
inégalités sociales se sont
creusées : la proportion des enfants issus des
« classes sociales
supérieures » est passée de
77% en 1987 à 81 ,5% en 1997. A
l’initiative du Directeur de l’école, M.
Richard Descoings, un nouveau système
de sélection qui, annonce-t-on, « ne
cède rien sur l’exigence
d’excellence », a
été mis en place - non sans douleur - et dans un
grand
tapage médiatique.
2.2
Les « conventions d’éducation
prioritaire (CEP) »
2.2.1
Une mission de « démocratisation de
l’enseignement supérieur »
Le 26 mars 2001, le conseil de
direction de l’IEP de
Paris adoptait deux résolutions, concrètes et
innovantes, tendant à recruter
sans examen dans sept lycées classés en ZEP
quelques élèves cooptés directement
par leurs professeurs. Afin d’assurer plus de
sécurité juridique au dispositif,
le législateur a voté une Loi ( 17 juillet 2001)
rendant licite la
discrimination positive fondée sur un critère
géographique pour l’admission à
Sciences-Po.
Depuis 2001, 264 bacheliers ont
bénéficié du dispositif CEP (entre 50%
et 70%
des élèves ainsi
sélectionnés sont enfants de chômeurs,
d’ouvriers ou
d’employés). Trente trois lycées
répartis sur huit académies, sont
aujourd’hui
partenaires de Sciences-Po. Si Sciences-Po se félicite de la
diversité des
origines géographiques des candidats
« CEP »,
l’école malmène quelque
peu la réalité en classant les
élèves originaires des régions
françaises
d’outre-mer... parmi les élèves
étrangers !... Par ailleurs, s’il est
tout
à fait positif de re-motiver des jeunes issus des quartiers
défavorisés grâce
aux CEP (et de le faire savoir !), on pourrait regretter que
nulle
opération volontariste du même type ne soit
menée en milieu rural (en Corrèze,
Lozère, etc.) pour pallier l’absence de jeunes
bacheliers ruraux à
Sciences-Po...
2.2.2
Une mission qui suscite des débats (quelle
égalité des chances ?)
Le principe de base est inscrit
dans l’article 1er
de la Constitution de 1958 : la République
« assure l’égalité
devant
la loi à tous les citoyens sans distinction
d’origine, de race ou de
religion » (le gouvernement a fait de
l’égalité des chances le
thème de
l’année 2006). Les adversaires des
« CEP » (le syndicat
étudiant UNI
classé à droite de la droite) ont
rejeté ces conventions qui mettent en pièces le
principe du concours qui garantit
l’égalité des chances et une
sélection basée
exclusivement sur les mérites individuels des
étudiants. Sciences-Po aurait pu,
effectivement, mettre en place une préparation
spécifique pour les jeunes dont
elle voulait assurer la promotion, et leur demander de se
présenter ensuite aux
mêmes épreuves que les autres candidats. Cela
n’a pas été le choix de
l’école.
HYPOTHESE :
A
TRAVERS LE REPORTAGE DE FRANCE 2, LA « FRANCE
D’EN HAUT, LA FRANCE QUI
PEUT CHOISIR » RENFORCE AU FINAL SON
POUVOIR.
1
La montée des périls
Quelques faits rappellent que la
France connaît de
vives tensions : présence de
l’extrème-droite au second tour de la
Présidentielle de 2002, racisme, chômage de masse,
« fracture »
sociale (année après année,
« succès » grandissant
des « Restos
du cœur »), finances publiques en grand
déséquilibre (2 000 milliards
de dette...), montée des inégalités,
révoltes sans espoir d’une partie de la
jeunesse, rejet en 2005 du référendum sur le
projet de Constitution européenne,
etc.
2
Un enseignement supérieur fragilisé
Après un parcours dans
des lycées d’inégale
réputation, les lauréats du
Baccalauréat (Général, Technique ou
Professionnel)
peuvent rejoindre l’enseignement supérieur.
Certains ont le soutien de réseaux,
se projettent dans des modèles, d’autres souffrent
d’un manque d’estime de soi.
Pour tous, les choix effectués après la Terminale
vont conditionner la réussite
de leurs études universitaires. Ils peuvent :
-
réussir
dans des
filières sans réels
débouchés (Philosophie, Psychologie, STAPS,
etc.) : la
moitié des étudiants n’occuperont pas
un emploi lié à leur formation.
-
échouer
dans des
filières très sélectives
(Médecine)
-
perdre
pied et
« errer » de discipline en
discipline, jusqu’à l’échec
-
intégrer
une
Classe de Préparation aux Grandes Ecoles (CPGE), qui leur
garantira une
excellente préparation, gage de réussite
universitaire et professionnelle.
-
Tout
simplement
réussir leurs études et obtenir un travail en
rapport avec leur formation.
Les plus modestes, souvent
contraints de cumuler
études et « petit
boulot », ne devront leur réussite
qu’à un fort
investissement personnel. La massification de l’enseignement
supérieur est bien
une réalité, mais la démocratisation
n’est pas au rendez-vous : chaque
année, 80 000 jeunes – un sur cinq
– quittent l’université sans le moindre
diplôme (plus de neuf bacheliers professionnels sur dix
inscrits à l’université
en sortiront sans diplôme...).
3
Un IEP, ou des IEP ?
Le
téléspectateur de France 2 n’en saura
rien, mais la
France compte huit IEP en dehors de celui de Paris :
à Bordeaux, Grenoble,
Rennes, Toulouse, Aix-Marseille, Lille, Strasbourg et Lyon (il est
curieux
qu’Aurélie, brillante élève
de Moselle, intègre l’IEP de Paris en lieu et
place
de celui de Strasbourg...). Ces IEP de province recrutent des milliers
d’étudiants sur les mêmes
modalités que l’IEP Paris : un concours
très
sélectif (culture générale, histoire
géographie, langues vivantes) qui
nécessite une parfaite maîtrise de
l’écrit. On retrouve donc parmi les admis,
les enfants des « classes sociales
supérieures » (en majorité des
enfants de cadres, de professions libérales,
d’enseignants, de chefs
d’entreprise). Cette
« exclusion » par concours des
enfants des
catégories populaires dans les IEP de province ne sera pas
évoquée par la
chaîne du service public de la
télévision...
4
Les bouleversements de l’information
La multiplication des
systèmes de diffusion (câble,
satellite, TNT, téléphone portable), la
concurrence féroce entre les différents
acteurs, l’émergence de l’Internet
(multiplication des « blogs »,
naissance des « encyclopédies
participatives »), journaux gratuits,
tous ces facteurs viennent déstabiliser en profondeur le
secteur de
l’information. Les journalistes perdent leurs
repères et doivent
« s’adapter »,
se situer désormais dans un monde instable où
l’immédiateté tient lieu
d’horizon. D’où, parfois (entre la
météo, un fait divers sordide et les
résultats complets de la dernière
journée de « Ligue
1 »), une vision
« déformée »
de la société...
5
Le regard du journaliste ou le miroir déformant
5.1
Minutage : un discours (celui du
journaliste) invisible mais structurant, illustré par des
images.
Le
reportage a une durée d’environ quarante
minutes. Ce temps se décompose
ainsi :
-
Journaliste
(voix « off ») qui commente
des images ou exprime un point de vue : 17,10 minutes.
-
Elèves
« ZEP » : 14,40 minutes
(dont seuls : 10,20 minutes ;
avec leurs familles : 3,05 minutes ; en
stage : 1,15 minutes).
-
IEP
(Directeur,
professeurs, huissiers) : 2,10 minutes
-
Elèves
« Non
ZEP » / Elèves
« Bourgeois » : 45
secondes
-
Homme
Politique /
Ministre : 35 secondes
-
Autres
(Enseignant
de la Guadeloupe) : 10 secondes
5.2
Comment la télévision enferme chacun dans un
statut réducteur
5.2.1 : Gilles, étudiant
noir de peau :
Journaliste (voix
« off ») : « Parfois
Gilles entend dire que sa couleur de peau a été
un avantage : insinuation
insupportable ! » - Gilles :
« Ma promotion à
moi, si je dois parler avec franchise et utiliser les mots comme on
dit, sur
une cinquantaine, on était quatre Noirs, environ une
vingtaine d’Arabes, et le
reste des Blancs, quoi. Lorsqu’on présente cette
procédure là, l’image qu’on
a,
c’est comme si ça permettait aux Noirs et aux
Arabes de rentrer à
Sciences-Po ! Alors qu’au fond, c’est pas
ça ! C’est sur des critères
sociaux, qui prennent en compte effectivement le milieu social, et non
le
critère racial ou ethnique ! » -
Journaliste (voix
« off ») :
« Toi, tu en as
bénéficié parce que tu
venais de ZEP et pas parce que tu étais
Noir ? » - Gilles :
« Tout à fait ». (...)
– Journaliste (voix
« off ») :
« Autrefois, les seuls Noirs à
Sciences-Po
étaient fils de Ministres ou dignitaires
africains : c’est bien
fini ! ».
5.2.2
: les étudiants
« BoBo » n’existent
qu’à travers leurs propos sur les
étudiants « ZEP » : – jeune homme en tenue
de soirée :
« Je pense que les établissements
d’éducation supérieure, notamment les
grandes écoles comme Sciences-Po, ont tendance à
être quelque peu fermées, et
ne représentent pas l’ensemble de la
société française »
- Restaurant prestigieux – jeune
femme
en tenue de soirée :
« Ils sont un peu moins formatés, quoi,
ils
ont autre chose à nous montrer. Ils nous apprennent un peu
ce que c’est que la
vraie vie ! ».
5.2.3 Les personnels de
Sciences-Po n’existent que
par leur regard sur les étudiants
« ZEP » : Journaliste (voix
« off ») :
« Sont-ils reconnaissables ? [A un
huissier] Comment
savez-vous s’ils viennent de
ZEP ? » - Huissier
(souriant) : « Ah, ça
peut-être à leur
façon de s’habiller ou de se
comporter ».
5.3 Le journaliste, lui aussi un
privilégié ? : // Journaliste
(«voix
« off ») :
« A Sciences-Po, c’est le grand jour, le
grand tri, le grand oral des
« ZEP » :
s’agissant des étudiants
des « milieux
privilégiés », le journaliste
aurait-il utilisé le mot
« Tri » ? On peut penser
qu’il aurait utilisé un vocabulaire
plus valorisant...
6
Demain tous Libéraux ?
Les Libéraux
« classiques » attendent une
« rupture brutale avec
l’immobilisme », le recul de
l’Etat, et la
régularisation des conflits par le Marché. Mais
d’autres évolutions
bouleversent également en
profondeur
notre société (conceptions du couple, de la
Famille, banalisation des drogues,
travail des femmes, craintes écologiques, etc.). Ces
mutations passent par des
batailles d’images, des stéréotypes
ciselés dans les « grand
messe »
que constituent encore les journaux
télévisés.
6.1
Pourquoi France 2 a-t-il besoin de l’initiative des
« conventions
d’éducation prioritaire » de
Sciences-Po et pourquoi Sciences-Po a-t-elle
besoin du temps d’antenne de la principale chaîne
publique de télévision
6.1.1
Hypothèse : La stratégie de France 2
Principale chaîne du
service public, France 2, chaîne
généraliste, assume sa concurrence avec ses trois
principales rivales privées
du PAF : TF1, également
généraliste, Canal +, plus sportive et
« décalée »,
ainsi que M6, qui tente de séduire les jeunes (France 3,
pour sa part, donne une image plus
« provinciale » de la France).
Pour rassembler le maximum de membres de la famille devant le petit
écran, il
est important de proposer des programmes
fédérateurs, consensuels, qui donnent
un rôle majeur aux adolescents sans exclure les parents. Le
programme doit
respecter les valeurs sociales conventionnelles, mais il peut parfois
s’aventurer sur des pistes sociétales
plus originales : par exemple, comment devenir
une personne de
pouvoir dans une société libérale, ou
comment sortir de son ghetto, quand on
est immigré (le reportage suivant proposé, ce 9
Novembre, par « Envoyé
Spécial » expliquait aux
téléspectateurs français comment,
quand on est
chinois et communiste, devenir millionnaire...). Le
« sujet » sur
l’initiative de Sciences-Po à Paris rassemblait
tous les éléments nécessaires
à
une « scénarisation »
de l’information conforme à l’image
voulue par la
chaîne.
6.1.2
Hypothèse : La stratégie de Sciences-Po
Paris.
6.1.2.1
Une stratégie d’image
Pour comprendre les enjeux de
l’évolution actuelle de
Sciences-Po, il convient de rappeler les liens étroits que
l’école entretient
avec les grandes entreprises de la vie économique du pays.
Sciences-Po doit
affronter la concurrence sérieuse
d’écoles de commerce (HEC, ESSEC) dont la
communication est plus
« traditionnelle ». Par ailleurs,
l’information et la communication permettant
aujourd’hui de conquérir un
pouvoir réel dans la société (cf.
Bouygues, Lagardère, Bolloré, etc.),
Sciences-Po vient de mettre en place une section
« Médias –
Journalisme » qui entend devenir la
référence dans ce domaine. Cela passe,
bien sur, par un « positionnement
d’image »
(« BoBo » tendance
Libération ou Canal + dans leurs périodes les
plus créatives et innovantes).
Lancer ce qui n’avait jamais été ni
osé ni même envisagé dans une grande
école
(intégrer sans concours des élèves
issus des ZEP) a constitué un coup de poker
« gagnant », qui, surfant sur
« l’air du temps » a
placé
l’IEP Paris au cœur de la modernité,
donnant à M. Descoings, le Directeur, un
« coup d’avance » sur
ces concurrents dans les domaines de la
formation de haut niveau à l’économie
et à l’information.
6.1.2.2
Dans la société de l’apparence et des
images, la compétence managériale ne
suffit plus.
Le grand public ignore certainement
qui dirige d’aussi
prestigieuses écoles que l’Ecole Normale
Supérieure, HEC ou Polytechnique. Richard
Descoings, Directeur de Sciences-Po Paris, ancien
élève de cet établissement et
lui-même énarque, a compris qu’il lui
fallait s’impliquer, sortir de l’ombre
s’il voulait donner une chance à son projet
d’aboutir. Il a assumé ce rôle en
vrai professionnel de la communication (bien aidé en cela
par des médias complaisants
et complices !).
6.2
Le « mérite » du
« technicien de surface, le
« prestige » de l’aide
familiale
6.2.1
Quand Che Guevara rencontre le plus puissant des banquiers
français
Les étudiants de
cinquième année
(« ZEP » et
« Bourgeois » confondus) se sont
rassemblés dans un restaurant
parisien pour fêter la fin de leurs études
à Sciences-Po ; « le
banquier le plus puissant de France » vient leur
rendre visite... Par
ailleurs, dans la modeste chambre de Gilles, étudiant
« à la peau noire »,
la caméra nous révèle une image du
« Che », fumant un cigare de La
Havane. Au 20° siècle, ces deux
éléments auraient marqué les
territoires
respectifs des adversaires impliqués dans la
« lutte des classes ».
Aujourd’hui, le « Che »
est toujours présent, mais, comme pour les
tableaux représentant « Saint
Sébastien percé par les
flèches », son image
est devenue indéchiffrable ; elle a
désormais perdu son pouvoir subversif.
La contestation des étudiants
« ZEP » parait bien
dérisoire (pourquoi
se rebeller, quand on accède à
« l’élite »
du « ghetto »
bourgeois ?...) et nulle adhésion chez eux
à un syndicat ou à un parti
politique. Ils sont lisses, aseptisés, interchangeables
(qu’ils soient
« ZEP » ou
« Non ZEP »), futurs colonels
prêts à mener
leurs troupes, ici ou ailleurs, dans la grande guerre
économique mondiale que
se livrent les groupes multinationaux.
6.2.2
« Tout changer pour que rien ne
change »
Au final, si le
téléspectateur a reçu quelques
informations sur les élèves
« ZEP » qui
fréquentent Sciences-Po, il
ne saura rien des autres étudiants (90 % de
l’effectif total...) de cette école, leurs
privilèges, leur mode de vie, leurs
rentes, leurs stratégies sociales. Pour la
télévision, les reportages sur la
fortune de M. Pinault ou celle de Mme Bettencourt ne font pas partie
des
attentes du public... On peut attaquer frontalement certains
régimes de
retraite qui constituent des « atteintes
intolérables au principe
d’égalité », mais on
se doit de jeter un voile pudique sur le pouvoir des
actionnaires dans la vie des entreprises...
Plus que jamais, notre
société refuse de prendre en
compte les travailleurs manuels, symboles d’un monde
industriel et prolétaire désormais
révolu. Se féliciter d’obtenir un DUT
de Génie Civil et d’enrichir ainsi par
son travail la société, voilà bien les
errements de celles et de ceux qui n’ont
toujours pas compris qu’en dehors de Sciences-Po, en dehors
de l’accès à la
« très haute classe
dirigeante », il ne saurait y avoir de salut
possible ! En attendant qu’un gouvernement
décide d’augmenter les bas
salaires et de taxer les plus hauts patrimoines, il faut bien
préciser que ce
n’est pas Sciences-Po qui doit rassembler à la
France : c’est plutôt
l’Assemblée nationale qui devrait diversifier son
recrutement, et compter sur
ses bancs plus d’ouvriers
et de chômeurs !...
Tant que ces derniers prendront pour argent comptant les fables
optimistes proposées
par la télévision de service public, il est
probable que rien ne bougera, si ce
n’est l’écume des choses (un
présentateur du journal
télévisé
« noir » ici, une femme
Présidente de la République là...).
En attendant, le Figaro nous
décrit le
monde « réel »:
« Un mouvement sans
précédent de concentrations,
d’alliances, de
rachats d’entreprises est à
l’œuvre. Ces transactions portent sur plus de 10
milliards de dollars par jour. Les
« vainqueurs » de ces
transactions
sont des conquérants de deux types : fonds
d’investissement aux
Etats-Unis, milliardaires de première
génération dans les pays émergents
(Russie, Inde, Chine, etc.). Ils disposent d’une force de
grappe financière
colossale. Leur unité de compte est la dizaine de milliards
de dollars. On peut
craindre que l’exubérance ne l’emporte
sur la raison... ». Peu de
chances, dans notre République démocratique, que
ces informations soient
expliquées – à une heure de grande
écoute - à la
« ménagère de moins de
cinquante ans » par la
télévision de service public !
Par ailleurs, permettre
à tous les jeunes d’obtenir un
diplôme universitaire ne résoudra aucunement les
angoisses générées par le
libéralisme
économique mondialisé ; certes, demain
nos enfants seront bardés de
diplômes (100 % d’une classe
d’âge titulaire du
Baccalauréat ?), certes, les
jeunes qui apprennent un métier manuel seront encore
méprisés par les
catégories « socialement
supérieures », mais, au final, les
plombiers, les garagistes, les maçons ou les boulangers ne
manqdueront pas de
travail. La société française
n’a pas fini de consommer massivement des
tranquillisants !...
Gérard
Hernandez
Enseignant
documentaliste en Charente
ANNEXE
Présentation
détaillée du reportage
« Promotion Sciences-Po »
Lancement en
studio – Journaliste : « Le
premier reportage nous emmène
dans le sacro-saint de l’élite
française, Sciences-Po à Paris : une
école
prestigieuse majoritairement fréquentée par des
jeunes de milieux privilégiés.
Mais depuis peu l’école joue le jeu de la
mixité sociale en sélectionnant les
lycéens brillants qui n’auraient jamais
envisagé de s’asseoir sur ces bancs. En
Juin dernier, quinze jeunes pionniers ont obtenu leur
diplôme ; et
pourtant, rien n’était gagné. Pire,
leur arrivée il y a cinq ans à Sciences-Po
avait provoqué une levée de boucliers et ces des
critiques (crainte d’une dévaluation
du diplôme, atteinte au principe de sélection au
mérite), mais le Directeur,
Richard Descoings, a tenu bon. Pas de concours
d’entrée, mais étude de dossier
et entretien pour ces jeunes issus de banlieue sociale
défavorisée, et voilà le
pari gagné ! Cette première promotion a
fait ses preuves : les
étudiants se révèlent aussi brillants
que les autres : ils peuvent
désormais rêver de finance internationale ou de
carrière dans la haute administration.
Aujourd’hui, ces nouvelles recrues se comptent par centaines.
Nous avons passé
toute une année scolaire à leurs
cotés, participé aux révisions
fiévreuses, aux
sélections pour l’admission et aux premiers pas en
stage à l’étranger. Regardez
ce document intitulé « Promotion
Sciences-Po ».
Extérieur jour
– groupe de jeunes dans la rue et
métro de Paris – Journaliste
(Voix
« off ») :
« Cette histoire commence comme un roman
français : les héros ont de
l’étoffe, mais pas de fortune, du talent, mais pas
de relations. Ils vivent en
province ou en banlieue et rêvent d’autre chose...
Et puis, coup du destin, les
voilà qui « montent à
Paris » pour faire Sciences-Po. Les premiers
temps sont difficiles. Ces jeunes gens se retrouvent à
Sciences-Po sans être
passés par la « case
concours ». Ou plutôt si : ils
ont bien été
sélectionnés, mais
différemment : banlieusards du
« neuf-trois »
ou provinciaux des Pyrénées, ils ont
d’abord été
« détectés »
dans
leur lycée ( à chaque fois un lycée
défavorisé, classé en ZEP, en Zone
d’Education Prioritaire ».
Gros plan des visages des
étudiants – Journaliste
(Voix « off ») : Il y
a là Aurélie, 1° année, venue
de la Moselle... Aurélie brillante en
Allemand ; Salem, 2° année, de Colombes, en
banlieue parisienne... Salem
et son rêve de devenir avocat d’affaires ;
Gilles [jeune homme à la barbe
courte et à la peau noire] de Saint-Ouen (dans le 93),
2° année ; Gilles
aime le foot et la vidéo ; Djalal lui est encore au
lycée : il va
tout faire pour intégrer Sciences-Po ; Megda elle
aussi est candidate.
Elle prépare pour l’instant son Bac. Megda est
scolarisée aux Tarterets.
Un groupe
d’étudiants entre dans le hall de
Sciences-Po – Journaliste (Voix
« off ») : C’est leur
histoire que nous allons raconter,
l’histoire collective d’une expérience
de « discrimination positive à la
française ».
Titre
du reportage : « Promotion
Sciences-Po ».
IEP Paris – le professeur
Dominique Strauss-Kahn donne
son cours d’économie face à de
très nombreux étudiants. A la fin du cours trois
« étudiants ZEP »,
nullement impressionnés, donnent leurs impressions
au journaliste.
Paris –
résidence universitaire – Journaliste
(Voix off ») : « la
résidence universitaire les héberge pendant leurs
deux premières années. Dans
ce cocon, Aurélie, Morgane ou Fatma ont le droit de se
« relâcher »,
de parler avec leur accent
« d’avant ». Aurélie
imite
« l’accent Bobo ».
Aurélie :
« Quelquefois, ils ajoutent dans leurs phrases des
petits mots anglais
pour faire « in ». Journaliste
(Voix « off ») :
« Toutes sont passées par des moments de
grand découragement, submergées
de travail, handicapées par leurs lacunes,
intimidées par la culture
générale de certaines étudiants, elles
se sont
parfois demandé ce qu’elles faisaient
là »... Aurélie :
« Au début j’avais une tendance
à m’auto censurer, j’avais une sorte de
culpabilité d’être là,
j’avais surtout le sentiment de ne pas être
à ma
place... ». Morgane :
« Moi j’ai entendu une fille
me dire (c’était scientifique, elle
l’avait lu dans un livre) qu’en banlieue,
on n’avait que cent mots de vocabulaire. Ou
alors : « T’es du
Sud, tu viens de Zep, t’es « de
gauche », t’es pauvre : on ne va
pas parler d’Europe avec toi » !
C’est vrai que c’est des blagues,
mais quand tu les entends dix fois par jour par une quinzaine de
personnes
différentes, tu te rends compte que c’est quand
même présent dans leur
esprit ! ».
IEP
Paris – bureau du Directeur – Journaliste
(voix « off ») : « Voici
l’homme par lequel la réforme est
arrivée. Richard Descoings, le directeur de
Sciences-Po, lui-même a
ancien élève
et énarque. Il a parfois été
accusé de brader le diplôme avec cette initiative.
Le scandale s’est éloigné
aujourd’hui, mais il y a cinq ans, les réflexes de
caste étaient bien là. ».
– Richard Descoings :
« C’était vécu
par certains comme une remise en cause dure, brutale, comme si toute
leur
légitimité de bons élèves,
et donc de futurs professionnels, était tout à
coup
remise en question. Ils ne cessaient de se
référer à ce statut que
confèrent
les grandes écoles à 20, 22
ans ».
Extérieur
jour – journaliste
(voix « off) : ouvrir la
porte à quelques lycéens modestes, les dispenser
du sacro-saint concours n’a
pas tout révolutionné : Sciences-Po
reste Sciences-Po »…
Restaurant
prestigieux – soirée – Journaliste
« Voix off » :
« élitiste, parisienne, et, osons le mot,
bourgeoise. Ces élégantes et ces
élégants sont en cinquième
année. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils
respirent la réussite. Pour célébrer
leur dernier jour d’étudiant, le plus haut
magistrat de France est venu leur parler, le banquier le plus puissant
aussi ! Cette promotion a vu arriver les toutes
premières recrues issues
des ZEP. Certains sont là ce soir, incognito, futurs
diplômés comme tous les
autres »…. Gros plans sur des visages
d’étudiants – Journaliste (voix
off) : « Diplômé de
Saint-Ouen, diplômée des Ulys ou de Clichy sous
Bois. Après cinq années de coexistence, ils font
maintenant l’unanimité, si on
en croit un petit sondage…
Restaurant
prestigieux – soirée –
jeune homme en tenue de soirée :
« Je pense que les établissements
d’éducation supérieure, notamment les
grandes écoles comme Sciences-Po, ont tendance à
être quelque peu fermées, et
ne représentent pas l’ensemble de la
société française »
- Restaurant prestigieux – jeune
femme
en tenue de soirée :
« Ils sont un peu moins formatés, quoi,
ils
ont autre chose à nous montrer. Ils nous apprennent un peu
ce que c’est que la
vraie vie ! ». Restaurant prestigieux
– jeune homme en tenue de
soirée : « Etre contre ces
conventions «Sciences-Po »,
c’est
être politiquement incorrect ! ».
Plan
d’ensemble – salle de danse. Journaliste
(voix off) :
l’air du temps a
changé : les plus réticents se taisent.
Ils constatent que Sciences-Po ne
s’est pas effondrée et conserve tout son
prestige ».
Hall
IEP – étudiants – plan
d’ensemble ; journaliste (voix
off) :
« Ces « ZEP »,
comme on les
appelle parfois dans les couloirs, font maintenant partie du paysage.
Ils sont
acceptés ; sont-ils reconnaissables ? Les
appariteurs, les huissiers
de Sciences-Po ont vu défiler des
générations d’étudiants.
Hall
IEP – huissier derrière un
bureau d’accueil : « On
a
de très bons rapports avec eux comme on a de très
bons rapports avec les autres
élèves ». Journaliste
(voix
« off ») :
« comment savez-vous s’ils viennent de
ZEP ? » - Huissier
(souriant) :
« Ah, ça peut-être à
leur façon de s’habiller ou de se comporter. Moi
je
viens de la banlieue, et c’est vrai qu’il y a une
manière d’être qui est propre
à chaque personne et puis
voilà. ».
Hall
IEP – Gilles traverse le hall – Journaliste
(voix « off ») :
« En deux ans, personne n’a osé
faire
de remarques à Gilles sur ses origines banlieusardes. Cela
ne veut pas dire
qu’il n’ait pas été
« jaugé ». Il y a par
exemple une matière avec
laquelle on ne peut pas tricher, une matière qui
révèle les origines
sociales : l’anglais ».
IEP
– Gilles assiste à un cours
d’anglais – journaliste (voix
off) :
« Gilles, qui vient d’une famille modeste
de Saint-Ouen, se débrouille
comme il peut » [Gilles
s’exprime
difficilement en anglais, sourires des autres
élèves] – Journaliste
(voix « off ») :
« Pas de doute, la langue de Shakespeare est son
point faible… ». Gilles :
« Ceux qui
sont ici, avec l’anglais qu’ils ont, ce sont des
gens qui sortent de la France
pendant les vacances, qui vont dans les pays anglophones et
tout… Et nous, bon,
pour des raisons de moyens, on ne sort pas assez, donc y a
ça aussi qui fait la
différence, je crois… ».
Etudiants,
plan général – journaliste
(voix « off ») :
« Est-il possible d’échapper
complètement à son milieu ? Beau sujet
de dissertation pour Sciences-Po !
Extérieur
jour – Bord de Seine – des
étudiants marchent – Journaliste
(voix « off ») : « A
chaque rentrée, ces étudiants sont
plus nombreux ; avec la blonde Aurélie, ils sont
une cinquantaine en
première année sur cinq cent : un
étudiant sur dix ! Un contingent
qui n’a rien de symbolique. Souvent ils se
débattent avec des sentiments
contradictoires : faute d’avoir le niveau et
gênés d’être
rentrés par la
petite porte, bonheur de s’en être sortis, et
culpabilisé d’avoir laissé
derrière soi les anciens copains du
lycée ».
Intérieur
jour bar – les
« ZEP »
discutent – garçon à
lunettes : « Je
pense que c’est une échappatoire
pour quelques uns, pour les meilleurs de ces zones-là, mais
il faut que chaque
être méritant, chaque citoyen méritant
puisse « accéder
à… ». Aurélie
« la blonde » :
« D’ici cinq ans, d’ici dix ans,
on aura des diplômés de l’ENA qui seront
d’origine ouvrière, peut-être
même issus d’un milieu
d’illettrés ou
d’analphabètes : ça
c’est quand même un progrès !
Parce que des
études à Paris, c’est cher !
Parce que quand on naît dans une famille
d’ouvriers, on n’a pas les mêmes chances
que quand on naît dans une famille de
cadres : il faut en parler ! Il faut que ce soit
suivi, que d’autres
le fassent aussi ! ».
Ext.
jour – magasins de vêtements –
Aurélie et ses amies regardent des robes –
journaliste « voix off » :
« Ce débat n’est pas
prêt d’être
tranché : faut-il compenser les
inégalités ? ou carrément
refonder
l’école ? Faut-il renoncer à
l’idéal républicain d’un
concours identique
pour tous ? ».
Extérieur jour
– lycée Auguste Blanqui à Saint-Ouen
– journaliste
(voix « off ») :
« Sciences-Po n’est pas le
Ministère de l’Education nationale. Son
initiative ne couvre pas tout le territoire, ne touche pas tous les
lycées
défavorisés : un trentaine
d’établissements seulement sont
concernés,
comme ici la lycée Auguste Blanqui à Saint-Ouen.
Dans ces lycées, les candidats
ont du éplucher l’actualité tout
l’hiver : une première
sélection a eu
lieu au printemps. Seuls les élèves qui restent
en course, comme Djalal, iront
passer un oral à Sciences-Po »...
Lycée Auguste Blanqui
– salle de classe – Djalal face
à jury – Journaliste (voix
« off ») : ...
(« Cet oral se
prépare. Djalal va plancher
« à blanc » sur le
thème qu’il s’est
choisi : le désamiantage du porte-avions
Clemenceau » [Djalal
termine son exposé, commentaires du jury]. Professeur à
Djalal : « Pour quelles
raisons tu veux venir à
Sciences-Po ? » - Djalal :
« Sciences-Po nous
donne les moyens d’étudier dans de bonnes
conditions, et ça, c’est vraiment pas
négligeable ! Et puis c’est le seul
établissement supérieur vraiment
réputé en France qui fait la démarche
d’aller vers les banlieues, parce qu’ils
ont conscience qu’il y a ici aussi des talents, et
qu’on n’est pas forcément
plus cons que ceux qui habitent le
16° ! » - Professeur :
« Fais attention à ton vocabulaire, Un
jour de jury, cela peut-être
embêtant ! ».
Extérieur jour, dojo
d’arts martiaux – Djalal en
kimono – Journaliste (voix
« off ») :
« Djalal est né en Algérie. Il
y a
dix-huit ans, sa famille a fui la guerre civile et la menace des
islamistes ; Deux fois par semaine, il se défoule
au club du Ju-jitsu de
Saint-Denis ». Journaliste
(voix « off » à Djalal :
« Pourquoi ils viennent te chercher, pourquoi ils
font tout ça, les gens
de Sciences-Po ? » - Djalal :
« Peut-être qu’ils
manquent de points de vue extérieurs... Ils ont
peut-être besoin de gens qui
voient d’autres choses... Ils veulent élargir le
champ de vision de leurs
élèves pour donner à leur institut une
portée plus large, qui toucherait
vraiment toutes les couches de la population ».
Extérieur jour,
immeubles collectifs – Saint-Ouen – journaliste
(voix « off ») :
« Djalal habite à Saint-Ouen,
juste à coté du
périphérique. Avant de penser à
Sciences-Po, il faut passer son
Bac d’abord, et même l’avoir au premier
tour, sinon pas de concours [Djalal étudie
dans sa chambre]. « Djalal a pris du
retard dans ses révisions :
il n’est pas ce qu’on appelle un
« élève
scolaire ». Mais c’est un
jeune homme curieux et cultivé, et surtout,
« il en veut !». Djalal :
« Lorsqu’on sort de Sciences-Po, on a
moins de chances de rencontrer le
chômage que quelqu’un qui sort de
l’Université. Moi, mon rêve,
c’est de
voyager : j’aimerais bien travailler dans une
ambassade à
l’étranger ».
Extérieur jour Moselle
– Aurélie conduit une voiture –
journaliste (voix
« off ») :
« L’ambition, ça
déracine ; changer d’univers
n’est pas si facile.
Aurélie revient souvent vers sa vie d’avant, vers
sa Moselle natale. Aurélie
rend visite à sa grand-mère, dite
« Mémé
chat ». [Appartement
modeste de la grand-mère d’Aurélie].
« A chaque fois, son retour est
fêté dignement : c’est peu dire
qu’Aurélie fait la fierté des
siens !
Sa mère, sa grand-mère, se repassent souvent le
film de sa scolarité. Aurélie a
été plusieurs fois dans le journal : les
articles ont été religieusement
découpés.
Malgré sa mention « Très
Bien » au Bac, Aurélie n’aurait
pas tenté
Sciences-Po par le concours classique : trop
aléatoire, trop prestigieux
même ! Dans cette famille, d’autres
ambitions ont été
étouffées. A
cinquante ans de distance, Aurélie a vengé sa
grand-mère Louise, la bonne
élève ; Louise, première au
certificat d’études, et pourtant
retirée de
l’école la même
année » [ Louise évoque sa
brève scolarité ]. Grand-mère
Louise : « J’aurais voulu
être institutrice ! Ensuite ma fille
[la mère d’Aurélie] s’est
basée là-dessus et a dit :
« je vais te
faire plaisir ! » [Gros plan de la
mère d’Aurélie]. Journaliste
(voix « off ») :
« En fait, c’est une histoire
familiale à trois
étages ! ». Mère
d’Aurélie :
« Voilà, on monte en
grade ! ».
Lycée Robert Doisneau
– région parisienne –
journaliste (voix « off ») :
« Dans la cour du lycée, une
limousine ; dans la limousine, un
Ministre ! Il s’appelle Azouz Begag. Il a une devise
pour
portefeuille :
« l’égalité des
chances ». L’égalité
des chances,
elle n’allait pas de soi dans la France de Louise !
L’émigration, la
ghettoïsation n’ont rien
arrangé... ».
Amphithéâtre
du lycée – Journaliste (voix
« off ») :
« C’est la première
année que ce lycée prépare des
élèves à
Sciences-Po ; ils sont une quinzaine, le Ministre a
accepté de les
parrainer. M. BEGAG, Ministre de
l’égalité des chances :
« Vous êtes comme moi : on est
des enfants de pauvres, des gens qui
n’ont pas eu tout dans la main et notamment les
réseaux (quand on est riche, on
a des réseaux !). Besoin d’un stage pour
mon enfant ? [M. BEGAG
claque des doigts] Téléphone ! Besoins
d’une grande école ?
Téléphone ! Besoins de piston ?
Pas de problème ! Y a
tout ! T’as faim ? Ouvre le
frigo ! Nous, y a pas grand-chose...
faut arracher... faut se battre ! » - Journaliste
(voix
« off ») :
« Ce Ministre sans administration n’a pas grand pouvoir... mais
il applaudit
l’initiative de Sciences-Po. En tous cas, il intimide
beaucoup Megda, l’une des
candidates. Megda est inscrite en Bac. Technologique : pas
vraiment la
meilleure filière pour décrocher
Sciences-Po ! ».
Extérieur jour
– zone pavillonnaire – journaliste
(voix « off ») : La
famille de Megda habite un pavillon à la lisière
des Tarterets. Ses parents
sont d’origine algérienne [Megda et ses
parents prennent le thé dans leur
jardin]. Sa mère est cantinière, son
père a travaillé trente ans comme
boucher à Rungis. Ils prennent les études de leur
fille très au sérieux, même
si ni l’une ni l’autre n’en ont
fait ». – Megda :
« J’ai postulé pour Sciences-Po
parce que je sais que c’est une école
reconnue, et comme la publicité (qui
m’intéresse) est un secteur assez
bouché,
il vaut mieux avoir fait une grande école comme Sciences-Po
pour avoir une
chance de trouver du travail ».
Journaliste (voix
« off ») :
« Publicitaires, mais aussi politiques ou
entrepreneurs, bientôt peut-être
la France « Black / Blanc /
Beur » aura des élites qui lui
ressemblent !
Extérieur jour,
cité internationale – journaliste
(voix « off »)
« Dans cette affaire, Sciences-Po est-elle
allé
chercher des candidats modestes, ou des
candidats... « colorés » ? »
- |chambre de Gilles] – journaliste
(voix « off) :
« la question a son importance pour Gilles,
étudiant perfectible en anglais ». [Gros
plans successifs sur des
photos de Che Gevarra, Muhammad
Ali et Bob Marley] – Journaliste
(voix « off ») :
« Parfois Gilles entend dire que sa
couleur de peau a été un avantage :
insinuation
insupportable ! » - Gilles :
« Ma promotion à
moi, si je dois parler avec franchise et utiliser les mots comme on
dit, sur
une cinquantaine, on était quatre Noirs, environ une
vingtaine d’Arabes, et le
reste des Blancs, quoi. Lorsqu’on présente cette
procédure là, l’image qu’on
a,
c’est comme si ça permettait aux Noirs et aux
Arabes de rentrer à
Sciences-Po ! Alors qu’au fond, c’est pas
ça ! C’est sur des critères
sociaux, qui prennent en compte effectivement le milieu social, et non
le
critère racial ou ethnique ! » -
Journaliste (voix
« off ») :
« Toi, tu en as
bénéficié parce que tu
venais de ZEP et pas parce que tu étais
Noir ? » - Gilles :
« Tout a fait ». – Journaliste
(voix « off ») :
« Et ça fait une grosse
différence ? » - Gilles :
« ça fait une différence
fondamentale : si on est pris simplement
parce qu’on est Noir ou Arabe, ça perd de la
valeur, ça n’a plus de sens. Si
cela avait été le cas, je ne me serais pas
présenté ! ».
– Journaliste
(voix « off ») :
« Autrefois, les seuls Noirs à
Sciences-Po étaient fils de Ministres ou dignitaires
africains : c’est
bien fini ! ».
[Salem, de Colombes,
étudiant en Troisième année, part
en stage aux Etats-Unis : il va représenter la
France en travaillant au
Consulat de Seattle. Salem est le dernier d’une famille de
dix enfants. Sa
famille, à son arrivée en France, a
d’abord connu les bidonvilles de Nanterre].
Extérieur jour
– des jeunes marchent dans une rue de
Paris – journaliste (voix
« off ») : A Sciences-Po,
c’est le grand jour, le grand
tri, le grand oral des ZEP. Antoine et Ikram arrivent avec une heure
d’avance
sur leurs convocations ; ils viennent de Saint-Ouen. Ils sont
en
concurrence avec 200 autres candidats, tous justes bacheliers comme
eux. Un sur
trois seulement sera admis. Chaque entretien dure environ 40 minutes. [Megda
attend son tour, Djalal arrive].
Journaliste (voix
« off ») : »Face
au jury, le sens de la répartie de Djalal va-t-il jouer en
sa faveur ? Ils
sont cinq de l’autre coté de la table :
banquiers, chercheurs,
juristes (des
« pointures » dans leur
domaine !). Plus
intimidant qu’un oral classique ! Ici on teste autre
chose... ». – Michelle
Cotta, journaliste, membre d’un jury :
« Je connais peu de
candidats qui ont autant de motivation qu’eux !
Quelque part, ça force le
respect, et c’et pour cela qu’on a beaucoup de mal
à délibérer, à mettre les
notes... on hésite, on discute entre nous, parce que
c’est tout à fait
exceptionnel ». Tania de
Montaigne – écrivain à la
peau
noire : « On parle de gens qui
ont eu l’énergie suffisante pour
arriver jusqu’ici. S’ils ne font pas ça,
évidemment ils feront autre
chose ! Ce qui est intéressant, c’est le
fait qu’ils jouent : cette
convention Sciences-Po a permis à des gens de se
dire : « Tiens, y a
un truc qui existe et qui s’appelle Sciences-Po ; si
c’est pas là, c’est
ailleurs ! ». On ouvre le
jeu ! »
Journaliste (voix
« off » :
« Ca y
est, le jury a délibéré. Il y a 75
noms sur la liste, une vingtaine de plus que
l’an passé » [Devant
la liste affichée, les lauréats expriment leur
joie]. Une candidate
à lunettes noires dans la rue :
« Voilà,
je ne suis pas prise, et
après un an de préparation, c’est
très dur ! Mais il faut rebondir et
poursuivre ! ».
[Homme à la
peau noire lit la liste des reçus]
– Journaliste (voix
« off ») :
« Cette année,
plusieurs lycées de Guadeloupe ont envoyé des
candidats. Cet enseignant vient
de Pointe-Noire » - Enseignant
guadeloupéen :
« Voilà, on a en a
présenté trois, et on a trois admis :
c’est du 100
% ! ».
Extérieur jour
– jardins de Sciences-Po –
journaliste (en voix « off ») :
Du lycée de Saint-Ouen, Djalal a été
pris, mais pas son copain Antoine qui va
se consoler en Hypokhâgne. Djalal, tu as l’air un
peu triste ! » -
Djalal : « Je ne suis pas triste, je suis
fatigué, c’est pas
pareil ! Je travaille à
côté ; j’ai bossé
hier et je suis un peu
fatigué aujourd’hui ; j’ai
envie de dormir, c’est tout ! ». [Photo
officielle des 75 lauréats et du Directeur de Sciences-Po]. Journaliste (voix
« off » :
« Ca ne se voit pas sur une photo, mais ces 75 admis
ont déjà grimpé
l’échelle sociale ; leur destin a
changé de cours ! ». [Nous
suivons Salem à Seattle, USA]. [Série
de visages] – Journaliste
(voix « off) :
« Gilles aussi est parti aux USA, à New
York,
perfectionner son anglais. Megda a été
reçue au concours. Son lycée, le lycée
des Tarterets, a placé trois élèves
pour sa première participation. Djalal fait
sa rentrée ; il a pris une option sport.
Aurélie et ses copines passent en
deuxième année avec d’honorables
moyennes. Cette histoire, leur histoire, est
loin d’être terminée ; mais au
moins, elle commence bien. – [journalistes :
Patrice Lorton et Mathieu Parmentier].
Studio - Présentatrice : « Et
désormais, le mouvement est
lancé : de plus en plus
d’écoles ouvrent leurs portes à des
lycéens issus
de « milieux » ou de
« zones »
défavorisées. L’an dernier,
soixante d’entre elles ont mis en place un tutorat dans le
cadre de l’égalité
des chances ».
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