« Inglourious
Basterds »
(ou)
Autoportrait de
Quentin
Tarantino en porte-drapeau cool et flamboyant
d’un cinéma enfin post-moderne.
Harwey
Weistein, l’un des producteurs du film, aime deux
choses :
s’identifier aux Juifs qui ont fondé
Israël (« Je ne suis pas du genre
à
marcher gentiment vers la chambre à gaz ; je suis
plutôt du genre à
dire « Je vais te poursuivre et te buter,
toi et ta famille,
espèce de
sale SS ») et se passionner pour les faibles
qui
bravent les puissants (« C’est toute ma
vie : on peut
tenir tête aux puissants,
aux
majors, et gagner ! »)[1].
Peter Biskind
«Je
serai pour la première fois dans un cinéma
israélien avec un public
israélien », affirme Tarantino. Le
réalisateur a été rejoint en
Israël par
le producteur du film Lawrence Bender. Ces personnes ont
voyagé ensemble en
Israël et ont visité le
musée
de l’Holocauste à Jérusalem. Bender,
qui a collaboré avec
Tarantino sur plusieurs autres films dont “Pulp
Fiction” et “Kill Bill”, a
été
la première personne juive à lire le script et
aurait dit à Tarantino : «En
tant que fan, je vous remercie.
En
tant que producteur, je vous remercie. En tant que membre
de
la communauté juive, je vous remercie ».
(in « Projection
particulière en
Israël pour Tarantino et son film » - Site
officiel de la chambre de
commerce France-Israel – 17/09/2009[2]).
« Soyons
honnêtes, le cinéma de Quentin est,
intellectuellement,
au niveau du bac à sable. Impossible d’extraire le
moindre propos d’aucun de
ses films. C’est le seul auteur à peu
près aussi extraordinairement talentueux
que creux »
Un lecteur du magazine
Première (n°392)-
courrier des lecteurs –
01/10/2009.
Générique :
« INGLOURIUS BASTERDS »
(Etats-Unis –2009 – durée : 2 h
28)
Scénario
et réalisation : Quentin
Tarentino – Production :
Universal, Weinstein Company, A Band Apart, Zehnte Babelsberg
– Distribution :
Universal – Interprétation :
Brad Pitt (lieutenant Aldo Raine) –
Christoph Waltz (colonel Landa), Melanie Laurent (Shosanna Dreyfus),
Michael
Fassbender (Lieutenant Archie Hicox), Diane Kruger (Bridget von
Hammermark),
Elie Roth (Sergent Donny Donowitz « L'Ours
Juif »). Le film est
interdit aux moins de douze ans.
[Inglourious Basterds
est un remake de The Inglorious Bastards
d'Enzo Castellari, un film Italien de 1978]. Le film a
coûté 70 millions de
dollars.
Christoph
Waltz a obtenu
l’Oscar du meilleur second rôle.
Box-office : 2,8
millions d’entrées en France (ce qui le
place au 13ième rang des
films sortis depuis Février 2009). Diffusé sur
500 écrans, le film a
généré en
France pour sa sortie en salles une recette 6 millions de dollars (4
millions
de dollars en Allemagne). Le film a déjà
rapporté (en totalisant les entrées de
tous les pays) plus de 320 millions de dollars.
[Comparatif sur la
même période.
« Avatar » : 13,8
millions d’entrées en France –
« L’Age de glace
3 » : 7,8
millions d’entrées –
« Harry Potter et le prince de sang
mêlé » : 6 millions
d’entrées – « Le
petit Nicolas » :
5,5 millions d’entrées][3].
Introduction
Evènement
lors de sa présentation au
festival de Cannes en 2009 (Christoph Waltz, l’acteur qui
incarne le colonel de
la SS a obtenu la palme du meilleur acteur),
« Inglourious basterds »
de Quentin Tarantino a recueilli depuis un accueil enthousiaste du
public, mais
aussi de la critique. Que l’on en juge :
§
Dans leur
« Top ten » des meilleurs films
de 2009, la rédaction des « Cahiers
du Cinéma » a placé
ce film en troisième position,
§
Le magazine
culturel « Les Inrockuptibles[4]»
le sacre... en tête du « Top
ten » de la rédaction ; les
lecteurs du journal le placent aussi en tête de leur
palmarès des meilleurs
films de l’année 2009.
§
Le magazine de
cinéma « Studio Live[5] »
a classé le film à la troisième place
du « Top ten » de la
rédaction,
tandis que les lecteurs le mettaient à la
deuxième place de leur palmarès.
§
La prestigieuse
revue « Positif »
a consacré pas moins de sept pages au film
et au réalisateur à l’occasion de sa
sortie.
§
« Télérama »,
hebdomadaire culturel de premier plan, s’est
enthousiasmé pour le film
(« Scalpons sous
l’Occupation », la Résistance
façon western. Quentin
Tarantino ose un film de guerre féroce, polyglotte et
gourmet »[6]).
Le palmarès des lecteurs du magazine place le film
à la cinquième place dans la
liste des meilleurs films de l’année, mais la
rédaction de Télérama
l’installe
en tête de sa liste[7].
§
Les lecteurs de
« Première »
attribuent au film la
seconde place dans le classement des
meilleurs films de 2009. MAIS, malgré
l’enthousiasme de ses propres lecteurs,
seule la rédaction de Première ose prendre ses
distances avec Tarantino :
les journalistes de Première n’ont pas
accepté de placer « Inglourius
Basterds » dans leur liste des quinze meilleurs
films de l’année[8]...
Ce succès,
critique et public, apporte
son lot d’interrogations : certes,
« Inglourious basterds » est
un film de guerre, mais est-il vraiment au niveau des sommets du genre
(« Full Metal Jacquet /
Kubrick », « Les hommes contre /
Rosi », « Johnny s’en
va-t-en guerre » / Trumbo) ? Le film
de Quentin Tarantino peut-il être en mesure de se hisser au
niveau du
« Dictateur » / Chaplin
ou de « To be or not to be »
/ Lubitsch, qui eux aussi laissent apparaître une image
« déformée »
de Hitler et des nazis par rapport à la
réalité historique ? Quel
rapport le film entretient-il avec la
réalité
historique, avec le sort fait aux Juifs ?
Comment se fait-il
qu’un film qui
prétend montrer la barbarie des nazis et le courage des
juifs, provoque chez le
spectateur (qui possède des connaissances minimales sur
cette période
historique) un sentiment de malaise ? S’il est
« fun » aujourd’hui
d’imaginer des Juifs capables de « scalper
sous l’Occupation »,
sera-t-il demain « tendance » de
danser le rock devant les chambres à
gaz (« Sure, let’s make the
Holocaust fun [9]»)
?... Ce débat est complexe, puisqu’il interroge
une nouvelle fois les rapports
entre l’Art et la Morale (d’une manière
ou d’une autre, l’artiste, pour
exister, doit nous surprendre...).
« Le
film est le produit d’une
analyse, c’est-à-dire d’une
décomposition du réel en ses
éléments séparables,
suivi d’une synthèse : au final, un autre
monde apparaît[10] ».
Si « Inglourious basterds »
n’utilise la deuxième guerre mondiale que
comme un décor sans rapport avec la
réalité, quelles pourraient être alors
les
bases de son fonctionnement auprès des spectateurs. Alors
que le rôle de
l’artiste est toujours de faire ouvrir les yeux pour changer
notre manière de
voir le monde, ne s’agit-il pas finalement pour Quentin
Tarantino, son
producteur, ses comédiens, ses complices dans le
cinéma, d’affirmer, dans une
sorte de manifeste caché, l’émergence
d’une nouvelle esthétique
cinématographique basée à la fois sur
la conservation du patrimoine (du plus
classique, du plus reconnu au plus marginal, au plus
méprisé), esthétique dont
ils seraient les porte-drapeaux auto-proclamés ?
Comment expliquer que
cette accumulation,
cette consommation effrénée de
références cinématographiques
(explicites ou
implicites), cette démonstration
d’érudition et de connaissances
n’enrichisse
en rien le cinéma, ne constitue, si l’on prend un
minimum de distance critique,
qu’un jeu un peu vain ? (Rappelons ici que le
cinéma s’inscrit dans une
société
qui donne comme cadre la consommation illimitée des objets,
et impose
l’impératif d’une jouissance
égoïste
généralisée,
génératrice de profits, bien
inégalement partagés).
Qu’est-ce
qui a changé dans le cinéma
(et dans nos sociétés en perte de
repères structurants et d'idéaux collectifs)
pour que ce film « de potache cool
» reçoive l’accueil que l’on
réservait d’habitude aux grandes œuvres
de Welles, de Renoir ou
d’Antonioni ? Combien faut-il accumuler de films
comme « Saw »
ou « Massacre à la
tronçonneuse » pour prétendre
égaler un seul film
de Tarkovski ?
Tentons ici de poser
quelques hypothèses.... sur le cinéma dans nos
sociétés néo-libérales mondialisées
1.
ANALYSE
DU FILM
1.1.
Le
mouvement global
du film
1.1.1.
Situation
initiale
En
1941, dans la France occupée, le colonel SS Hans Landa
traque la famille
Dreyfus, cachée par la famille Lapadite.
Dénoncée par le père de famille
français, la famille est assassinée. Seule
Shosanna Dreyfus, la fille, parvient
à s'échapper. Quelque part en Europe, le
lieutenant Aldo Raine recrute un
groupe de soldats juifs (qu'il baptise "Les Bâtards") et
auxquels il
fixe comme objectif de terroriser les nazis (il demande à
ses hommes de lui
rapporter une centaine de scalps de nazis tués).
1.1.2.
Situation
finale
1944.
L'opération "Kino" est une réussite : Hitler,
Goebbels, Goering et
les dignitaires du IIIième Reich
périssent dans le cinéma
géré à
Paris par Soshanna Dreyfus. Le colonel Landa participe à la
réussite de
l'attentat en refusant d'intervenir. En récompense, il
demande d'être accueilli
aux USA. Avant de se rendre aux américains qui ont
débarqué en Normandie, le
lieutenant Raine lui grave une croix gammée sur le front.
1.2.
Quelques
caractéristiques de la mise en scène
« La
question qui est
posée à l’artiste de
l’ère contemporaine est
désespérante : quoi créer
encore, et comment le créer ? [11]»
1.2.1.
Prises
de
distance avec la réalité
Le
découpage en chapitres, la volonté
affichée d’ancrer le récit dans la
fiction, l’utilisation
de codes
graphiques (arrêt sur image et lettres imposantes venant
identifier les
personnages), tous ces éléments proposent une
relation ludique au spectateur,
qui accepte, dans ce contexte, que Tarantino lui
« raconte des
histoires », sans se soucier outre mesure du
caractère véridique des
évènements historiques
évoqués. Les personnages parlent, discutent,
argumentent, échangent... des propos, et ce en plusieurs
langues (cette
caractéristique a
sans doute contribué
au succès critique du film). Il faut du talent pour donner
consistance,
« donner de la vie » aux
personnages ; c’est ici l’un des atouts
majeurs du réalisateur. Par ailleurs, il sait parfaitement
placer les dialogues
les plus... inattendus - « Dis au revoir
à tes couilles de nazi » -
qui vont atténuer la violence des images et des situations
(« Je crois que
les plus belles choses qu’offre mon cinéma ce sont
les dialogues[12] »).
1.2.2.
Une
écriture
filmique audacieuse ?
1.2.2.1.
Des
clins d’œil
cinéphiliques nombreux et érudits (cf. en annexes)
1.2.2.2.
Le
« Cinéma
bis » (ou « cinéma de
genre »), de la clandestinité des
« séances de minuit »
à la reconnaissance par la
Cinémathèque
française.
Quentin
Tarantino, cinéphile autodidacte et
« styliste de talent[13] »,
ne cache pas son intérêt pour tous les genres
cinématographiques, y compris
pour le « cinéma
bis ». Cherchons tout d’abord à
préciser ce terme.
Selon Jacques Zimmer, dans les années 70
« il y a dans le
« cinéma
bis » deux constantes qui existent depuis
toujours : érotisme et
fantastique, et trois phénomènes
ponctuels : péplum, western, karaté,
avec
marginalement un certain nombre de phénomènes
avortés (films de corsaires,
parodies, films de science-fiction italiens, films de catcheurs
mexicains,
etc.)[14] ».
Laurent Aknin propose quant à lui de regrouper dans cette
catégorie « les
films qui, en même temps, sont 1°) des films de
genre, à caractère populaire,
2°) des films à budget faible ou
dérisoire, 3°) des films
méprisés ou ignorés
par les instances de légitimation sociale dominants
(critiques,
historiens) ». L’espace
cinématographique qui accueille le
« cinéma
bis » est en perpétuelle
évolution, puisque, indique le même
auteur :
« On a pu voir Russ Meyer passer du rayon
« porno » à celui de
l’Art et Essai, Mario Bava se voir consacrer une
rétrospective intégrale à...
la cinémathèque française, et Ed Wood
sacré « génie
méconnu [15]».
Le
film d'horreur (qui trouve naturellement sa place dans le
"cinéma
Bis") "se caractérise par sa volonté de susciter
chez le spectateur
des réactions de peur et/ou de dégoût[16]".
Les
responsables de la Cinémathèque
française vont eux-mêmes, sur leur site
Internet, expliquer la cohérence de leur
démarche : « Les programmes
« cinéma bis »
continuent d’attirer la curiosité des amateurs de
séries B et Z ; nous leur proposons des films hors
norme, étranges et
excentriques, exhumés de l’oubli par les nouvelles
générations de cinéphiles.
Ces films jouissent aujourd’hui d’un regain
d’intérêt
mi fétichiste mi nostalgique auprès
des
cinéphiles, même les plus sérieux. On
peut en effet prendre un réel plaisir à la
vision de ces bandes naïves, maladroites ou racoleuses,
embellies par la patine
du temps, mais aussi assister sans ironie aucune à de
véritables révélations
esthétiques, trop longtemps différées
par l'oubli et l'indifférence. (...)
Découvertes cinéphiliques, bonne
humeur, goût
de l'érudition et de la transgression, curiosité
et éclectisme sont les mots
d'ordre des séances cinéma bis, qui n'ont pas
fini de nous surprendre, puisque
l'histoire secrète du cinéma bis cache encore de
nombreuses zones d'ombre et de
mystère à explorer avec
délectation [17]»
Le
« cinéma bis », le
plus souvent méprisé par la profession, a
été
marqué par des cinéastes aussi
différents que Roger Corman, Sergio Leone (qui a
provoqué l’avènement du western
spaghetti dans les années soixante en imposant
de nouveaux codes narratifs), ou Sam Raimi (qui, partant du film
« bricolé » avec
talent et imagination « Evil dead /
1982»,
a réussi à réaliser avec
succès un blockbuster,
« Spiderman » /
2002) ».
Mais
le « cinéma
bis », c’est aussi... Philippe
Clair :
« Il occupe une place de choix dans le registre de
la comédie affligeante
et monstrueuse. Il atteint un
« sommet » avec
« Le Führer en
folie / 1973». Il faut se cramponner ! On y
voit Hitler (joué par Henri
Tisot), tenter de conquérir le monde grâce
à son équipe de football ! (Eva
Braun est interprété par Alice Sapritch) [18] ».
Pour
comprendre comment le film de Tarantino s’inscrit dans la
continuité du
« cinéma
bis » il convient de rappeler
d’autres caractéristiques
de ces productions : « Le
« cinéma bis » est,
plus qu’aucun
autre, un produit de consommation vite vu et vite oublié.
(...) C’est un
domaine où, pour satisfaire un public vite blasé,
il faut exacerber et montrer
explicitement ce qui est seulement suggéré dans
d’autres productions. (...)
L’élémentarité est la
première caractéristique du
« cinéma bis » (les
personnages, basés sur des archétypes
immédiatement reconnaissables, sont le
plus souvent dépourvus de toute psychologie, de toute
profondeur). (...) Le
« cinéma bis »
requiert en priorité la rentabilité : le
titre
doit être accrocheur, quitte à tromper le client
sur la nature, sinon sur la
qualité du produit écoulé.
Malgré une mise de fonds réduite au minimum, les
producteurs espèrent toujours une accumulation de
bénéfices
phénoménaux [19]».
Que
dit le réalisateur du
cinéma ?
"Bertrand
Tavernier : La question est de savoir si on doit puiser
obligatoirement son
inspiration dans des œuvres dites mineures (séries
Z, comics Books) ou
aller la chercher dans des sources, des sujets plus "nobles".
Où se
situe la frontière ? Est-ce que c'est mieux d'être
influencé par des comics
books ou par John Steinbeck, par Elmore Leonard ou par Shakespeare ?
Quentin Tarantino
: Les grands classiques, ça me
connaît ! Mais franchement, la subversion vient toujours de
la minorité. Et je
défends le désordre en cinéphilie. Les
réalisateurs de série B – au sens
très
large – offrent ce truc un peu impertinent qu'on ne trouve
pas dans les films
de série A, et qui fait que les films de série B
existent, tout simplement !
Vous y trouvez plus de sensationnel, plus d'excitation, plus
d'émotions
basiques, pour le même tarif. La frontière entre
films grand public, les films
d'auteur, les films de série B, les superproductions est
parfois mince. Ça a
toujours été le cas. (…) Je suis un
cinéaste-cinéphile[20]".
1.2.2.3.
La
bande
originale du film
C’est
aussi une des marques de fabrique de Tarantino : une bande son
sans
faille, qui intègre le film dans un sous genre (les musiques
d’Ennio Moriconne
liées à l’univers du western-spaghetti)
ou la « Pop-culture », qui
vient dynamiter le point de vue historique (David Bowie –
« Putting out
fire » - chez les nazis, symptôme d'un
monde infantilisé ?). Cette
re-création est bel et bien une
récréation : elle dénature
absolument, en
les décontextualisant, les évènements
racontés. Ce décalage, cette
intégration,
cette récupération de l’Histoire par la
« Pop culture » constitue un
des principaux points de rencontre esthétique entre le
réalisateur et son
public, jeune et
« branché » qui
apprécie le style du réalisateur.
D’une certaine manière, Tarantino parvient ici
à fédérer des publics qui sont
ailleurs plus
« clivés » par leurs
pratiques culturelles (rap ou
classique, aux extrêmes).
1.2.3.
Un
scénario qui
laisse une part d’interprétation au spectateur
§
Quels
évènements
tragiques (tentative de lynchage ?) ont-ils laissé
de telles marques sur
le cou du lieutenant Raine ?
§
A
quelle occasion
le sergent Stieglitz a-t-il été
fouetté et par qui ?
Ces
astuces scénaristiques donnent au spectateur la
possibilité de se construire sa
propre fiction, mais elles ne peuvent nullement, hélas,
étoffer les
personnages... Reste qu’il est difficile de
trancher : Tarantino, comme
d’autres cinéastes, a-t-il pour objectif
« de perpétuer le cinéma de
genre, cherche-t-il à imposer sa marque d’auteur,
a-t-il entamé une réflexion
sur ce type de cinéma ou, plus simplement, veut-il le
tourner en
dérision ? [21]».
1.2.4.
Un
jeu subtil sur
les noms
§
M.
Lapadite :
idéal pour désigner un Français qui
refuse de révéler des secrets
cachés !
§
Marcel :
le représentant masculin de la population
française est un Noir, compagnon
d’une femme juive.
§
Hitler
est informé des
méthodes
« spéciales » du
commando par le seul soldat (« Butz »)
qui a échappé à
l’embuscade mais qui, marqué à vie par
une svastika gravée sur son front, sème
l’effroi (ce nom se rapproche du mot allemand
« Butzemann »,
l’épouvantail).
§
Lieutenant Archie Hicox (littéralement
« Bonjour au barreur », mais
aussi
référence au réalisateur
américain d’origine britannique Alfred Hitchcock).
Le
titre du film est une référence au film
« Une poignée de
salopards »
(« The inglorius Bastards ») /
Castellari / 1978. Tarantino rend
certes hommage à ce « film italien de
fond de placard[22] »,
mais ce procédé lui permet de se
démarquer de la culture
« classique », du respect de
l’orthographe (les deux mots ne sont pas
orthographiés correctement). Tarantino crée ainsi
un univers global et
structuré dont il est le seul à
établir les normes.
1.2.5.
Anachronismes
et
références (cf. en annexes)
1.3.
Le
film et la
critique
« C'est
un cinéma qui ne cherche ni à résoudre
ni à réconcilier, ni à donner des
leçons, ni à repartir bons et mauvais points
entre camp du bien et camp du mal.
Un cinéma où tout est toujours possible, surtout
de désobéir[23] ».
«Pendant les 2 heures 40 (!!!) que dure
le film, on ne
s’ennuie pas vraiment et on rigole de toutes ces blagues que
Tarantino et sa
clique nous font. Cependant, progressivement, on est envahis par une
sorte de
déception discrète et insidieuse, et plus le film
avance dans le n’importe
quoi, plus on se demande si Tarantino nous a pris au
sérieux [24]».
« Inglourious
Basterds ne déroge pas aux proportions
habituelles : deux heures de
dialogue, vingt minutes d’action, la seconde étant
l’explosion finale du
premier, une éjaculation que l’extrême
dilatation du moment verbal rend encore meilleure (...) En
fabriquant
les films qu’il fabrique, méthodiquement ludiques,
rigoureusement fantaisistes,
ce type rend le monde meilleur »[25].
1.4.
Les
internautes
expriment leur enthousiasme.
Culture
académique, culture populaire, culture de masse…
le bouleversement de nos
sociétés s'inscrit également dans les
représentations culturelles. "La
culture de masse radicalement distincte de la culture
académique, classique,
traditionnellement ordonnée, juxtapose des
éléments d'information parmi
lesquels dominent ceux qui sont psycho-affectifs[26]".
Les
réactions des internautes illustrent les normes de la
communication
mondialisée, les nouveaux rites d'initiation culturels (le
cinéma de Tarantino,
rite de passage de l'adolescence vers l'âge adulte ?).
Le
28/08/09, Klioum a écrit : «Film excellent. Du
Tarantino tout craché : du trash, du n'importe quoi, des
dialogues marrants,
une @!#$?* de bande son, des personnages atypiques, etc. La fin est un
brin
déjantée, mais c'est ce qu'on aime chez
Tarantino ».
Le
29/08/09, Marseillais a écrit : «Inglorious est
délicieusement dérangeant avec ses
scènes dures mais hilarantes; Franchement
c'est du bon Tarantino mais pour les "moins-puristes" il y a une
grosse heure de bla-bla tarantinesques (on aime ou pas). Mais cela
aboutit sur
un final monumental [27]».
Le
28/08/2009, Framboise a écrit :
« Bon eh bien, ça y est, j’ai
vu mon
premier Tarantino. Le scénario est complètement
loufdingue mais génial, rien n'
y est prévisible et Brad Pitt et Christoph Waltz forment une
belle paire de
monstres déjantés. Un très bon film
burlesque et un peu gore, il faut bien le
dire, mais tellement gore que ça en devient marrant. Sinon,
c’est toujours
marrant de voir l’Histoire réécrite
! [28]».
« Burlesque,
hilarant, marrant, déjanté,
loufdingue »... certes..., mais les
internautes n’auraient-ils pas tendance à oublier
que l’on prétend évoquer ici
un crime contre l’Humanité parmi les plus barbares
puisque quatre millions de
Juifs (hommes, femmes et enfants) ont péri durant cette
époque, pour la simple
raison qu’ils n’entraient plus (selon la
classification du IIIe
Reich), dans la catégorie des êtres humains... Le
rappel de cette période nous
pose quelques questions de fond (« Quelle forme doit
prendre le
témoignage ? Comment faut-il évoquer ces
évènements pour que l’on s’en
souvienne ? Le choix des formes a-t-il une influence sur le
récit et les
évènements
rapportés ? [29]».
Rappelons
à présent brièvement la
manière dont le cinéma a illustré,
dans les fictions,
dans les documentaires, cette tragédie, cette douleur
à jamais présente ?
1.5.
L’holocauste
au
cinéma
"Dans
les années 60, la fiction prend pour cadre la
période de l'occupation et du
nazisme. Le génocide n'est jamais abordé
directement. Le cinéma ne cherche plus
à le représenter, et aucun film n'en fait son
sujet central"[30].
Dans les années 70, le cinéma va questionner le
rôle de la police, de l'Eglise,
des institutions, l'indifférence des gens vis à
vis des victimes pendant cette
période ("Portier de nuit", "les Damnés",
"Lacombe
Lucien", "M. Klein", "Le dernier métro", "Les uns
et les autres"). Certains films ("L'as des as") vont opérer
un
traitement humoristique de la répression anti-juive sous
Vichy. Roberto Begnini
(« La vie est belle »)
échouera à traiter par l'humour la vie dans
les camps d'extermination, et Daniel Levy (« Mon
führer ») nous
proposera une œuvre surprenante qui nous présente
un Hitler dépressif ayant
recours aux conseils d’un
« Psy » juif !
D’où
cette interrogation légitime :
« Les films comiques sur l’Holocauste
– « Le Dictateur » /
Chaplin / ou « To be or not to
be » /
Lubitsch / - soulèvent deux questions majeures :
dans quelle mesure
l’humour est-il approprié à un sujet
aussi tragique ? Et quel éclairage
une perspective humoristique peut-elle apporter, qui serait impossible
avec une
approche sérieuse ? »[31].
Claude
Lanzmann, avec Shoah, engagera une réflexion majeure sur la
représentation au
cinéma, tout en réalisant un chef
d'œuvre cinématographique. Entre
évocation et
représentation, le débat reste entier puisque "on
a pu parler de la Shoah
comme d'un événement sans image. La
Shoah serait de l’ordre de
l’infigurable, ou de l’irreprésentable,
générant elle-même une série
de
proscriptions à l’égard notamment de
toute forme de reconstitution[32]».
En
2010, le « devoir de mémoire est, au
cinéma, toujours d’actualité, mais la
mémoire de la guerre mondiale est
fragmentée : « Certains groupes
de
victimes s’efforcent plus que par le passé
d’entretenir la mémoire des
souffrances spécifiques qui leur furent
infligées : c’est le cas pour les
victimes juives [film « La rafle[33] »]
et tsiganes [film « Liberté [34]»],
comme pour les Américains d’origine japonaise
internés par Roosevelt, ou les
peuples d’Union soviétique
déportés par Staline [35]».
1.6.
L’image
des Juifs
au cinéma
En 2000, les USA comptent plus de
cinq millions de Juifs
(2 % de la population). Hollywood s'est toujours fixé comme
objectif
d'américaniser les spectateurs (les intégrer dans
le "melting-pot" du
rêve américain), et de prendre en compte les
groupes socio-ethniques dont
l'importance dans les domaines industriel et politique
étaient reconnus.
1.6.1.
Une
des fonctions
de Hollywood : américaniser
"Le cinéma
américain a toujours eu pour souci
d'américaniser les spectateurs, aussi bien à
l'intérieur qu'à l'extérieur de
ses frontières. Pour Hollywood, l'expérience du
Juif immigrant / immigré
s'assimile au destin du peuple américain, lui aussi
contraint à l'exode pour
des raisons religieuses et politiques[36]".
Si les USA restent un pays
religieux et puritain, marqué
par le Protestantisme, des tensions peuvent exister parfois avec les
principales minorités religieuses (Musulmans suite aux
attentats du 11
septembre, mais aussi Juifs). Aussi "dès 1947, plusieurs
organisations
juives américaines se réunirent à
l'échelon national pour former un comité qui,
sous le nom de "Motion Picture Project", allait avoir pour
tâche de
surveiller la façon dont Hollywood présentait les
"thèmes juifs" et
l'image des Juifs (par exemple, il était proposé
de faire crucifier Jésus-Christ
par des soldats romains, et non par des Juifs). Le comité
cherchait à contrôler
le contenu des films avant leur sortie, si possible au stade de la
pré-production. Actif et efficace, le comité a
été dissous à la fin des
années
soixante[37]".
"Pour réussir
à Hollywood, de nombreux Juifs ont
pendant longtemps du abandonner leur patronyme trop "typé" :
Marion
Levy deviendra ainsi Paulette Godard, Bernie Schwartz se fera appeler
Tony
Curtis, Issur Danielovitch Demsky deviendra Kirk Douglas, Joseph
Levitch, Jerry
Lewis[38]".
1.6.2.
Nazis
/Juifs /
humour : dans le cinéma français aussi.
La
série des « OSS 117 »
(qu’incarne Jean Dujardin) connaît un
réel
succès populaire et a reçu, en France, un accueil
enthousiaste de la critique
cinématographique. L’idée force est de
confronter un personnage dépassé,
représentant des valeurs et des idées
plutôt conservatrices, à un monde en
pleine mutation (le spectateur, qui connaît, lui, le
« sens de
l’Histoire », apprécie
pleinement cette confrontation ironique (politique
?). Tarantino n’est pas le seul cinéaste
à exploiter le flou idéologique qui
constitue notre environnement. Voici donc un argument pour nous
convaincre d’apprécier
comme il se doit l’humour de « OSS
117 » : «(...) Pour les
dialogues d’un Michel Audiard sous acide –
Exemple : « Il y a forcément
une amicale des anciens nazis ? ou une association ?
ou un
club ? » demande OSS à un
fonctionnaire de l’ambassade d’Allemagne au
Brésil... Autre réplique culte du
même OSS 117 : «Pourquoi ne pas espérer
un jour une réconciliation entre Juifs et
nazis ? »[39].
Tout
créateur peut proposer, s’il le souhaite, un point
de vue sur son œuvre. Il
convient de prêter attention à ses intentions,
tout en sachant que le
fonctionnement du film peut dégager des significations (le
concernant ou en
rapport avec la société qui l’a
produit) qui ont pu échapper à son
contrôle.
Cette partie est l’objet même de
l’analyse filmique et autorise de proposer des
hypothèses de fonctionnement du film.
1.7.
Que
dit le
réalisateur de son film[40] ?
1.7.1.
Un
film sous influences
« J’avais
donc imaginé une mission dans le style des
« Canons de
Navaronne » : le sabotage d’une
avant-première nazi dans un cinéma du
Paris occupé. J’aime toujours concevoir un
scénario comme un roman, avec des
chapitres, pour qu’ils soient très
différents, qu’ils aient une atmosphère
distincte. Ici les deux premiers chapitres ont une tonalité
de western, voire
de western spaghetti, et le troisième serait un film
français ; et à
partir du chapitre 4, c’est le film de mission.
Je
suis très influencé par Sergio Leone, mais comme
je ne fais pas de westerns, je
m’approprie son style. Je ne le copie pas, mais je
m’en sers comme d’une
atmosphère dans les genres qu’il n’a pas
abordés. (...) Je ne storyboarde rien,
j’ai tout au plus quelques images en tête, mais je
sais que sur le moment j’y
arriverai. (...) La scène de la taverne
« La Louisiane » est un
« Réservoir Dogs »
réduit à une demi-heure et tourné en
allemand.
(...) L’un de mes points forts en tant
qu’écrivain est de ne jamais interdire
à
mes personnages d’aller où bon leur semble. Ils
mènent, je les suis. J’ai
besoin d’avoir une trame, ils peuvent en dévier,
me prouver qu’elle est
foireuse. Je me suis toujours dit : peu importe où
on va, on y va ».
1.7.2.
Quentin
Tarantino
nous aide à
« interpréter » son
film.
§
Shosanna
est une survivante, pas
une « Bad
Ass ». Mais dans le film qu’elle tourne
pour présenter son attentat au
cinéma, elle apparaît en gros plan sur
l’écran, les flammes lui lèchent le
visage ; l’image de Jeanne d’Arc est
restée. En même temps, c’est le diable,
c’est Big Brother...
§
L’heure
de la vengeance a
sonné pour les familles
juives restées en Europe et assassinées par les
Boches. Vos grand-mères étaient
impuissantes quand on est venu frapper à leur porte, elles
ont souffert. Vous
êtes leurs petits fils américains, vous avez la
plus grande Nation du monde
derrière vous. A vous de faire souffrir !
§
Pourquoi
le commando
judéo-américain est-il dirigé par
un non juif, Aldo Raine ? C’est un gars des
montagnes du Tenessee. Il
n’est pas Juif mais il est là pour lutter contre
le racisme. S’il survit, il
rentrera dans ses Smocky Mountains pour combattre le Klu Klux Klan. Les
soldats
juifs ont un élan que les autres américains
n’ont pas. Les autres se battent
pour la Patrie, ils ont le luxe d’être des
soldats ; eux ont l’obligation
d’être des guerriers.
§
"La
taverne La Louisiane se
réfère à un petit
hôtel, près du boulevard Saint-Germain,
où depuis 1982, je descendais à chaque
fois que je venais à Paris.
2.
LE
REFERENT
EXPLICITE (la France entre 1941 et 1944)
2.1.
La
seconde guerre
mondiale (1939 – 1945) – (cf. en Annexes)
2.2.
Le
cinéma et la
propagande en Allemagne, en France, en Italie (cf. en Annexes).
2.3.
Hypothèse :
« Inglorious Basterds » donne une
image négative des Juifs, mais sait
leur offrir des signes discrets de bonne volonté,
d’alliance.
2.3.1.
Les
Juifs victimes : morts
invisibles ou
épargnés.
Certes,
la première séquence « donne
le ton » : les nazis sont des
monstres qui poursuivent et exterminent les Juifs ; la famille
de Shosanna
est bel et bien massacrée. La vengeance de la jeune femme
(réussir à brûler
vifs Hitler et les hauts dignitaires du IIIe Reich) est tout
à fait
légitime ; elle parvient à venger sa
famille, mais elle va perdre la vie
(c’est bien parce qu’elle incarne la
« vengeance juive »
qu’elle va à
la mort. Sa vengeance n’a été possible
que parce que, sans raison apparente, le
colonel Landa la laisse s’échapper... (Qui
pourrait deviner que le Colonel va mettre
fin à la seconde guerre mondiale en participant passivement
au meurtre d’Hitler
?).
2.3.2.
Une
image
négative
Le
sergent Donny Donowitz est un personnage tout à fait
remarquable. Il va
« massacrer » avec son
bâton (« bat ») de
base-ball un
soldat allemand prisonnier et désarmé qui refuse
de donner des informations
stratégiques. Cette extrême violence
n’est justifiée par aucun motif religieux.
Son crime monstrueux commis - sous les applaudissements de ses
camarades juifs
- il s’écrie : « Le
grand Teddy Williams[41]
la
fait sortir du stade ! Le public se lève pour lui
faire une
ovation ! ».
Non,
le sergent Donowitz n’est pas un militant
religieux : au mieux, un adulte
« faible d’esprit » qui
ne mesure aucunement la gravité de ses actes,
au pire, un pervers sadique, avide de notoriété,
le versant « Made in
USA » du colonel Landa. Ce Juif, comme ses
camarades, ne voit aucune
contradiction avec sa religion dans le fait de scalper les cadavres de
ses
ennemis... Il semble que les thèses nauséabondes
de l’antisémitisme puissent
ici retrouver de leur vigueur : si les Juifs ne ressentent,
dans le film,
qu’une grande satisfaction à pratiquer, avec leur
poignard, un rituel barbare
sur de la chair humaine morte, c’est peut-être car
ils se livrent à des
pratiques semblables (ôter une partie de peau humaine) sur
leur propre
progéniture... Par ses choix hautement discutables, le film
autorise ces interprétations
monstrueuses. Non, malgré les déclarations du
réalisateur, on ne peut pas tout
pardonner au sergent Donowitz, sous prétexte qu’il
est Juif et qu’il combat des
nazis... ("La haine est toujours destructrice de valeur et reste en soi
toujours mauvaise; même lorsqu'elle nous oppose au
méchant, elle risque de nous
ravaler au même plan que lui"[42]).
Il
est sans doute inutile ici de reprendre le débat
(fondamental) sur la manière
d’évoquer au cinéma la Shoah (doit-on
se contenter de témoignages, sans
reconstitution, comme le préconise Claude Lanzmann, le
réalisateur du film
« Shoah »), ou peut-on
« scénariser » (pour
la bonne
cause !) et incarner cette situation dans des personnages
construits et
mis en scène ?
Comme
la critique, comme les spectateurs, nous devons nous rendre
à l’évidence :
Quentin Tarantino utilise cette période historique et ses
drames comme un
terrain de jeu, comme un décor dont il peut bouleverser,
selon ses envies,
selon ses fantasmes, selon ses délires,
l’architecture et le fonctionnement. Il
est certain que le film avance une vision du monde
inédite : en ce qui
concerne la violence, le sadisme, la cruauté, la barbarie,
les Juifs sont
désormais au même niveau
d’inhumanité que les nazis ! Mais, nous
rassure
Quentin Tarantino, il ne s’agit que d’une vengeance
somme toute tout à fait
légitime !... Cette nouvelle (et
inédite) image du peuple Juif semble
toutefois avoir posé quelques problèmes
d’acceptation dans le Proche-Orient et
à New York (« On peut noter que les
victimes du commando ne sont pas des
nazis, mais des soldats allemands, ce qui n’est pas la
même chose[43] »),
mais le succès du film a balayé rapidement ces
interrogations et ces doutes.
2.3.3.
La Guemara, un
indice de complicité amicale pour les initiés
Le
cinéma que dirige et programme Shoshanna a pour nom
« Le Gamaar ».
Dans un entretien, Quentin Tarantino nous fournit une
explication :
« C’est à cause d’une
erreur du décorateur que le cinéma du film
s’appelle
le « Gamaar ». En
réalité je souhaitais évoquer le
« Garmar », le cinéma
de Montbello east Los Angeles où mon père
m’emmenait quand j’étais jeune (ce
cinéma a fermé au début des
années
80) ».
Certes,
cela est tout à fait possible (l’erreur du
décorateur concernant un élément
aussi significatif du décor est bien sûr toujours
envisageable...), mais il est
intéressant de noter la proximité de ce terme, de
ce souvenir de jeunesse si
opportun, avec le mot hébreu
« Guemara », maillon essentiel de
la
culture juive, puisque « le talmud se compose de la
michna, et de son
commentaire par les sages, la Guemara, que les amoraïm
(« ceux qui
expliquent ») ont rajouté à la
Mishna entre le IIième et le VIième siècle [44]».
Quand
Soshanna surplombe le hall de son cinéma rempli de
dignitaires nazis, ces
derniers sont dominés par le nom du cinéma,
« Le Gamaar ». Le film
semble nous inviter à une lecture... différente
de ce récit
« déjanté ».
Le public juif prend conscience que ce film, malgré les
apparences, lui parle avec ses codes et ses
références, qu’il est bien
« de son
côté ». Méfions-nous
des images, semble préconiser le film
au monde du judaïsme, car
« l’image n’est qu’un
reflet, une illusion, elle
ne participe pas de l’être des choses et elle peut
même être futile, à moins
qu’elle ne serve un objet éthique [45]».
Ceci
précisé, il convient maintenant de poser des
hypothèses pouvant expliquer le
fonctionnement de « Inglorius
Basterds » auprès du public (et de la
critique).
3.
HYPOTHESES
DE
FONCTIONNEMENT
3.1.
Le
film s’inscrit
dans les évènements historiques qui se sont
déroulés entre 1941 et 1945
Cette hypothèse est
assurément la moins plausible. Le
décalage entre la réalité historique
et les évènements proposés par le film
est
trop important (le front de l’Est, par exemple,
n’est nullement évoqué) ;
par ailleurs, Tarantino revendique une liberté totale pour
traiter les
situations et le comportement de ses personnages
(« Et puis, tout d'un
coup, je me suis dis : "Attends un peu ! Mes personnages ne sont pas
historiques. Ils n'ont aucune existence réelle". Je ne suis
donc pas tenu
à une quelconque véracité historique.
Du coup, mes personnages pouvaient
parfaitement changer l'histoire ! A partir de là, mes
bâtards sans gloire m'ont
mené par le bout du nez et sont allés
où bon leur semblait[46] »).
Il convient donc
d’orienter vers le présent, vers la
période de la production du film, les recherches qui vont
permettre
d’échafauder d’autres
hypothèses.
3.2.
Le
film et son
époque (les USA et le Monde sous la présidence de
Georges W Bush).
"Si
les USA ont une destinée particulière,
doublée d'une mission universelle[47]",
le film pourrait alors être un discours (critique ?)
sur la politique
extérieure des USA pendant le mandat du Président
Georges W. Bush. L'œuvre de
Tarantino pourrait ici illustrer la nécessité
d’intervenir contre les forces de
« l’axe du Mal » sans
se soucier du Droit international, avec comme
seul objectif la victoire militaire (« (...) dans le
cadre de la
« guerre globale contre le
terrorisme », la torture a été
légitimée
par de nombreux penseurs libéraux ; mais elle a
été aussi critiquée de
manière systématique par la presse et par la Cour
suprême après les
révélations
concernant les prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo[48] »).
Les aventures du Lieutenant Raine (vainqueur facile et nonchalant)
seraient en
quelque sorte un modèle pour les jeunes
américains tentés par l'aventure
militaire ? Tarantino souhaite-t-il faire méditer ses
spectateurs sur les
nouvelles formes de violence qui, dans notre
« village global »,
jouent diaboliquement avec les médias puisque
« depuis les années 1990, le
vidéoterrorisme combinant à la fois propagande de
guerre et exhibition des
exécutions pose avec une acuité nouvelle la
question de la représentation de
l’irreprésentable [49]» ?
3.3.
Le
film et son
époque : le conflit au Proche-Orient
La
présentation des personnages et des
situations que
propose le film semble en
complète contradiction avec les pratiques habituelles des
producteurs de cinéma
issus de la communauté juive. Si ce portrait
« monstrueux » proposé
par le scénariste Tarantino a été
accepté, c’est sans doute car le
référent du
film pourrait ne pas être l'Europe des années
quarante, mais bien le
Proche-Orient actuel. Là où Tarantino nous montre
des sadiques, des pervers
(qui tuent leurs ennemis car ils se croient des
« dieux » du
base-ball !...), la communauté juive n’a
voulu voir que des soldats
courageux qui vont au bout de leur combat pour défendre
leurs nobles
convictions (peut-être s’agit-il d’un
hommage aux soldats de Tsahal, l’armée
d’Israël)... Nous
acceptons les
violences et le sadisme des Juifs à
l’écran car ils
« vengent », ivres
de colère, l’inhumanité de la Shoah,
ensuite car cette violence semble révéler
le courage et la volonté des soldats Juifs, qui
démontrent leur volonté d’en
découdre, hier comme aujourd’hui, quel que soit
l’adversaire.
Ces
trois hypothèses, pourtant bien présentes,
semblent difficiles à développer...
Il
convient peut-être d’évoquer une
quatrième piste, celle qui parcourt le film, à
savoir une réflexion (à peine voilée
par le contexte historique
(« exotique »
et lointain ) sur le fonctionnement du monde du
cinéma mondial. Revenons
tout d’abord à Quentin Tarantino, à ses
films, à son style, et... à l'échec
commercial de son dernier film :
« Boulevard de la mort ».
3.4.
Une
autobiographie cachée de Quentin
Tarantino, cinéaste indépendant, en marge des
Studios.
3.4.1.
Un
réalisateur
déjà présent dans les livres
d’histoire du cinéma
« Pur
produit cinéphilique, c’est le premier
représentant de la génération de
cinéastes qui a appris le cinéma en regardant les
cassettes vidéo [50]».
« Tarantino
[dans « Réservoir
dogs »], démarque avec jubilation les
clichés du
western et du film noir en les assaisonnant d’une dose
massive de violence et
en les tirant vers la dérision (...). [Dans
« Pulp Fiction »] Ses
tours de passe-passe scénaristiques, greffés sur
une intrigue et des
personnages qui ne sont pas loin du grand guignol, sont-ils suffisants
pour
faire de Tarantino un (petit) génie ? [51]».
« Flamboyant,
boulimique, enthousiaste, Quentin Tarantino a offert une image que les
médias
ont saisi au vol pour en faire leurs délices. Il est un pur
produit de la
cinéphilie[52] ».
"Il joue de façon
virtuose de distributions
brillantes, avec des acteurs utilisés de façon
décalée et de toutes les
ressources de l'ironie dans les dialogues, dans le choc des
tonalités, dans le
second degré, tout en donnant à la violence droit
de cité; il visite de façon
constamment originale et personnelle son propre territoire[53]".
3.4.2.
Tarantino,
biographie et filmographie
Quentin
Tarantino voit le jour le 27 mars 1963 à Knoxville dans le
Tennessee. Deux ans
plus tard, sa mère et lui s’installent
à South Bay, au sud de Los Angeles, dans
un quartier multiculturel dont les différentes ethnies
auront chacune une
influence sur ses affinités cinématographiques.
À
16 ans, il quitte le lycée pour entreprendre des cours
d’art dramatique. Il
finance ces cours grâce à de petits jobs. A 18
ans, Quentin Tarantino découvre
le magnétoscope et consomme un nombre
considérable de films (films de guerres,
western-spaghetti, films de chambara[54]).
Quatre ans plus tard, grâce à une culture
cinématographique déjà très
étendue
il se fait embaucher dans un vidéoclub en Californie.
C’est
en 1986 qu’il se lance dans la réalisation avec
pour premier essai « My
Bestfriend’s Birthday », un film amateur
à petit budget sans succès.
En
1990, il vend les scripts de « True
romance » et « Tueurs
nés »
(adaptés en 1993 et 1994) et exploite l’argent
récolté pour la réalisation de
« Reservoir
Dogs » (1992) avec l’aide de Harvey
Keitel, rencontré grâce à Lawrence
Bender (avec lequel il crée la société
Band Apart). Les frères Weinstein,
distributeurs du film, souhaitent que Tarantino supprime la
scène de torture
(une oreille coupée), craignant la répulsion du
public féminin ; Tarantino
est indigné, mais résiste :
« Je n’ai jamais eu l’intention
de plaire
à tout le monde avec ce film. Je l’ai fait pour
moi et les autres peuvent venir
le voir s’ils en ont envie ! [55]».
Le
film, distribué par Miramax, suscite de vives
réactions lors de sa présentation
hors compétition au Festival de Cannes et conquiert
très vite le statut de film
culte (il rapporte vingt millions de dollars). Suit
« Pulp Fiction »
(1994) qui lui vaut la Palme d’Or au Festival de Cannes et
l’Oscar du Meilleur
Scénario[56].
Une
autre grande figure fera également son retour
grâce à un film devenu culte par
la suite : Pam Grier, dans un « Jackie
Brown » sorti en 1997 et
remportant un large succès auprès du public (le
film coûte 12 millions et
rapporte 80 millions de dollars).
En
parallèle avec la réalisation et
l’écriture, Tarantino reste fidèle
à son
premier rêve ; la comédie et joue ou
apparaît dans la majorité de ses films
(Reservoir Dogs, Pulp Fiction, Boulevard de la Mort).
En
2002, il repasse derrière la caméra et
réalise le diptyque Kill Bill (il a
aussi écrit le scénario du film). Lawrence Bender
a assuré la production, et
les frères Weinstein étaient les producteurs
exécutifs. Sortis à deux mois
d'intervalle, les deux films fonctionnent en forme d'hommage hyper
référentiel
au cinéma qu'aime Tarantino[57].
Le
réalisateur s'essaie à tous les genres, du film
d'arts martiaux au western avec
une virtuosité indéniable. Le film est un
succès international.
En
2004, Tarantino réalise un autre rêve et devient
le président de jury du
Festival de Cannes, où il accorde la Palme d'Or au film
Fahrenheit 9/11 de
Michael Moore . L’année suivante, pour seulement
un dollar il tourne une scène
unique de Sin City, film de Robert Rodriguez et Frank Miller.
En
2007, toujours avec son ami Robert Rodriguez, il se consacre au projet
Grindhouse qui rend hommage aux films de genre des années 70
et au cinémas
spécialisés en séries Z. Rodriguez
sort ainsi « Planète
terreur » (le 2e volet) dans lequel un petit
rôle est attribué à Tarantino
qui pour sa part réalise « Boulevard de
la Mort ». Le projet était
initialement construit comme un diptyque dans lequel venait
s'intégrer une
série de fausses bandes annonces. Tarantino a non seulement
réalisé le film,
mais il a écrit le scénario et dirigé
la photographie. Le film est produit par
Tarantino et Rodriguez et distribué par les
frères Weinstein. Tarantino et son
ami Elie Roth y interprètent un petit rôle.
Boulevard de la mort /
Tarantino/2007
Synopsis : C’est à la
tombée de la nuit que Jungle Julia, la DJ
la plus sexy d’Austin peut enfin se détendre avec
ses meilleures copines Shanna
et Arlene. Elles attirent tous les regards dans les bars et dancings du
Texas.
Mike, cascadeur au visage balafré et inquiétant
est sur leurs traces, tapi dans
sa voiture indestructible. Tandis que Julia et ses copines sirotent
leurs
bières, Mike fait vrombir le moteur de son bolide
menaçant...
Accueil
critique :
Les « poids
lourds » de la critique
« légitime » ont
beaucoup aimé le film.
§
Les
cahiers du
cinéma : « le plus rapide, le
plus simple (...) un film pétri de
références mais tout sauf
« cultivé [58]».
§
Les
Inrockuptibles :
« Un hommage
jubilatoire, sexy et expérimental[59] »
§
Positif :
« Un objet de pur plaisir
cinématographique[60] »
§
Libération :
« Un savoureux milk-shake à
base de gonzesses, de bagnoles et de musiques seventies rares[61] »
Mais
cette « série Z »
indigeste et malsaine est boudée par le public,
mettant en grand danger les finances des frères Weinstein
qui décident de
sortir les deux films séparément.
3.4.3.
Un
film sur les
enjeux actuels de la création
cinématographique ?
Pour
réaliser un film, il faut de l’argent. Le
réalisateur peut se mettre au service
de l’industrie cinématographique (les majors),
apporter ses compétences et
faire carrière, mais sans contrôler le contenu de
ses films. Il peut tenter
aussi d’imposer ses créations dans une
économie parallèle, plus audacieuse et
« artistique », celle du
cinéma indépendant. Tentons d’explorer
« le triangle argent-pouvoir-création
à l’intérieur duquel
s’enferme
aujourd’hui la dynamique de l’Art[62] ».
3.4.3.1.
Le
rôle des
producteurs
« Le
producteur est la personne physique ou morale qui prend
l’initiative et la
responsabilité de la réalisation d’un
film. On distingue le producteur
délégué,
juridiquement propriétaire du négatif et des
droits d’exploitation, et le
producteur exécutif chargé par le producteur
délégué d’assurer la
fabrication
du film. (...) Différence fondamentale avec la France, le
producteur américain
est le titulaire du droit d’auteur (Lors d’un
symposium international en 1994,
le réalisateur Milos Forman résumait ainsi la
situation : Qui était
l’auteur de « Citizen
Kane » hier et qui en est l’auteur
aujourd’hui ? Réponse : RKO en
1941, Turner aujourd’hui, c’est-à-dire
les producteurs [63]».
« Les
producteurs, à la fois « studio
executives » et
« producers » sont comptables en
même temps de l’argent de leurs
commanditaires et du talent de leurs employés ; ils
ont imprimé à
Hollywood, avec une impitoyable schizophrénie, un double
mouvement de balance,
entre l’art d’un coté et le dollar de
l’autre. Parfois, comme ce fut le cas à
la RKO, les financiers dominèrent toujours les producteurs,
exerçant un pouvoir
tyrannique sur les réalisateurs (...) L’histoire
des trente années glorieuses
de Hollywood – de 1925 à 1955 – est
constituée par une interminable liste de
fusions / acquisitions qui ont abouti à la dilution de
l’identité
cinématographique des grands studios (Les
« Majors » MGM, Paramount,
20th-Century-Fox, Warner Bros, RKO, et les
« Minors » -
dépourvues de
circuits d’exploitation - Columbia, Universal, United
Artists) absorbés par
divers trusts industriels, pour qui le cinéma
n’est qu’une partie de leur
activité [64]».
Dans
« l’age
d’or » hollywoodien, de nombreux
« nababs »,
« mogols » ou
« tycoons[65] »
à la tête des grands studios sont originaires
d’Europe et de confession
juive : Carl Laemmle, qui fonde et dirige la Universal, Louis
B. Mayer,
l’un des fondateurs de la Métro-Goldwyn-Mayer en
1924, Harry Cohn, fondateur de
la Columbia, Samuel Goldwin (né Schmuel Gelbfisz), Jesse
Lasky, co-fondateur de
la Paramount, Joseph Mickael Schenck, co-fondateur de la 20th Century
Fox,
Samuel Warner (né Samuel Eichelbaum) co-fondateur de la
Warner Bros.
En
marge des grands studios ou des grandes firmes qui dominent
aujourd’hui le
monde de l’industrie cinématographique, des
producteurs indépendants (bien
souvent des réalisateurs) vont tenter de
s’imposer, sur une production
originale, inattendue, différente des standards
calibrés produits par une
industrie hautement conformiste qui exploite quelques filons (Stars
War, Harry
Potter, Twilight, etc.). Par tous les moyens, les grands studios
hollywoodiens
tentent d’écarter toute concurrence
émanant des producteurs indépendants. Dans
les coulisses du cinéma, c’est bien une lutte sans
merci qui modifie – ou non –
les rapports de force entre les différents intervenants.
3.4.3.2.
Le
cinéma
nord-américain marqué par le conflit entre le
système des studios et le cinéma
« indépendant » (et
par l’affaiblissement de la censure).
3.4.3.2.1.
Le
code
Hays : une profession qui s’autocensure
« Aux
USA, dans les années 20, le cinéma
édicta son propre code de censure,
rédigé par un ancien ministre des
Postes : William Hays. Pour éviter les foudres des
censeurs, la majorité
de la profession céda à une autocensure qui a
donné naissance à une production
édulcorée, malgré quelques tentatives
pour contourner les interdits [66]».
Les majors basent leurs intrigues sur la sagesse populaire et
l’idéologie
dominante, le Libéralisme.
D’une
manière générale,
« c’est une méthode de travail
parfaitement rodée,
fondée sur la répartition des taches et sur une
inébranlable volonté de
demeurer consensuel et abordable par le plus grand nombre. (...) Le
code Hays
proscrit de tout film les images et les sujets suivants :
nudité,
prostitution, homosexualité, relations sexuelles entre
Blancs et Noirs, scène
d’accouchement (même en silhouette),
scènes
« indécentes » ou
« obscènes ». Les
cinéastes sont tenus de respecter la religion et
le sentiment national, et ne doivent en aucun cas
présenter sous un jour
favorable tout personnage s’étant rendu coupable
d’un délit ou d’un
péché
(crime, vol, adultère). Le Code a contribué
à conditionner et à uniformiser la
production hollywoodienne dans le sens souhaité par les
lobbies conservateurs.
Les œuvres iconoclastes resteront marginalisées
(Charlie Chaplin ne recevra
jamais d’Oscar pour ses films) [67]».
3.4.3.2.2.
La
crise des
années soixante
Les
grands studios, en faillite, sont rachetés par des groupes
financiers. Le
public boude le cinéma hollywoodien traditionnel. Le
cinéma va alors délaisser
le public « familial », les
divertissements moralistes, pour
privilégier des
« cibles » plus
précises (jeunes, noirs, pacifistes,
contestataires de l’American way of
life,
etc.). En 1968, un système de classification des films
remplace le Code
Hays : la sexualité et la violence sont maintenant
représentées plus
crûment. « Influencés par le
cinéma européen, les nouveaux venus, les
Robert Altman, Al Ashby ou Martin Scorsese ambitionnent de
réaliser des films
d’auteur, des films
« d’art » garants
d’une nouvelle
sensibilité [68]».
Le
cinéma américain (c’est surtout le cas
des films
« indépendants »)
effectue une relecture critique des mythes américains. Il
faut préciser
toutefois que les films indépendants n’ont jamais
été ouvertement des films
« politiques » (au sens
où l’étaient les films russes des
années 20
et du début des années 30).
3.4.3.2.3.
Avec
le Président
républicain Reagan, retour de films divertissants et
consensuels
Les
années quatre-vingt sont marquées par le triomphe
de la « Guerre des
étoiles » de Georges Lucas, le retour du
film « grand public »
produit par les studios. L’objectif des majors est toujours
d’engranger un
maximum de recettes.
Durant
cette période également, des cinéastes
plus indépendants (les frères Coen, Tim
Burton, Spyke Lee, Gus Van Sant) vont proposer au public des
œuvres très
différentes du modèle dominant. Robert Redford
lance le festival de Sundance,
vitrine du cinéma indépendant et soutien des
jeunes cinéastes en marge du
système hollywoodien : ces outsiders (Noirs,
Amérindiens, Femmes)
entendent bien bousculer un système qu’ils jugent
sclérosé.
3.4.3.2.4.
Années
quatre-vingt-dix : standardisation et contestation
Les
grands trusts et les multinationales ont pris le contrôle des
grands studios
entraînant une obligation de rentabilité (on
n’hésite plus maintenant à mettre
en chantier des films de série
« B »
interprétés par des stars, mais
avec des budgets colossaux). Le contrôle de la production sur
le travail des
réalisateurs se fait plus contraignant. Les
indépendants, qui aspirent toujours
à produire des œuvres artistiques de
qualité, se regroupent autour du Festival
de Sundance (les problématiques liées aux
minorités ethniques ou sexuelles sont
mieux abordées, mais le terrain de la politique –
au sens noble du terme –
reste marginal). La société Miramax,
dirigée par les frères Weinstein, devient
par ailleurs un élément incontournable du
cinéma indépendant nord-américain
(les majors ont même essayé de copier ses
recettes, et tenté d’obtenir de forts
investissements avec une mise initiale restreinte) : "Entre le
cinéma
indépendant et le cinéma dominant, les
frontières sont brouillées; les
"mini-majors" du cinéma indépendant appartiennent
à de grandes
compagnies dans le cadre desquelles elles font un vrai travail de
prospective[69]".
3.4.3.3.
Tarantino,
producteur, scénariste et programmateur de cinéma.
Quentin
Tarantino et Laurence Bender ont fondé une
société de production (« Band
Apart ») dont le nom est une
référence au film de Godard
« Bande à
part ». « Band
Apart » a produit la plupart des longs
métrages
de Tarantino et de Robert Rodriguez (« Pulp Fiction,
Four Rooms, Une nuit
en enfer, Kill Bill, Jackie Brown, ainsi que Inglourius
Basterds »).
« A Band Apart » est aussi
spécialisée dans la production de films
publicitaires ou de clips.
En
1994, Oliver Stone va porter à l'écran le
scénario de Tarantino "Tueurs
nés" qui raconte l'histoire d'un "couple de tueurs, minable
et
pathétique, qui écume l'Amérique
laissant sur son passage moult cadavres[70]".
« Aujourd’hui
Tarantino s'occupe en partie de la programmation d'un
cinéma, le New Beverly,
l'une des rares salles de répertoire de Los Angeles, refuge
des cinéphiles de
la ville, dont la particularité consiste à ne
proposer que des "doubles programmes".
Les choix de Tarantino sont d'un éclectisme
débridé. Le New Beverly s'ouvre,
comme peu d'autres salles au monde, sur le cinéma de genre
italien des années
1960 et 1970. Les copies 35 mm projetées proviennent de la
collection
personnelle de Tarantino. Des films comme « Le
Continent des hommes
poissons » et « Cannibal
Holocaust » sont présentés
avec autant
d'intensité que « Le Cuirassé
Potemkine » et « La
Règle du
jeu ». Avec le New Beverly, le
réalisateur de Pulp Fiction s'est aussi
donné la possibilité d'exercer l'un des deux
métiers vers lesquels il se serait
tourné, s'il n'avait pu exercer son talent
derrière la caméra : celui de
projectionniste – l'autre étant critique de
cinéma [71]».
3.4.3.4.
Les
frères
Weinstein : de Miramax à la Weinstein Company[72]
[En
1991, le journaliste Peter Biskind
rencontre les deux frères
(« déjà
célèbres à
l’époque pour leur
comportement outrancier ») dans les bureaux de leur
société Miramax à
New-York] « Harvey Weinstein
était assis à son vaste bureau d’acajou
verni. Je ne pus m’empêcher de remarquer la batte
de base-ball dans un coin,
contre le mur. Comme s’il lisait dans mes pensées,
il réagit au quart de tour
et maniant l’autodérision qui est devenue sa
marque de fabrique
s’exclama : « Matthew, viens
ici ! C’est l’heure de ta
correction ![73] »
3.4.3.4.1.
Les
frères Harvey
et Robert Weinstein
Issus
d’une famille juive, ils ont grandi à New York,
dans une cité ouvrière. Leur
père, Max, était stationné au Caire
durant la seconde guerre mondiale, et
lorsque les hostilités prirent fin, il resta dans la
région et travailla pour
les services secrets israéliens en Palestine. Il
était joaillier dans le
quartier des diamantaires. Le nom de leur compagnie (Miramax) est la
combinaison des prénoms des parents des deux
frères : Max et Mira. Miramax
avait été créée en 1979 par
les frères Weinstein afin de distribuer les films
jugés non rentables par les grands studios hollywoodiens.
Les frères Weinstein ont
commencé à travailler dans le
monde du spectacle par la promotion de concerts. Ils remarquent que les
films
indépendants (qui n’attirent pas les foules au
cinéma) pourraient tout
naturellement alimenter le secteur des vidéoclubs et des
chaînes à péage :
les deux frères, sans aucune pratique de cette profession,
se lancent dans la
distribution de films (ils débutent en achetant des films
« X »
britanniques qu’ils vont adapter au public US). Ils vont
très vite développer
un sens aigu du marketing, et se faire accepter dans le secteur du
cinéma
« d’Art et Essai ».
Leur conception de l’Art est très...
américaine,
puisqu’ils n’hésitent pas à
demander à des étudiants en cinéma de
refaire le
montage de films européens qui, selon eux, ne correspondent
pas assez aux
critères du public nord-américain... [En 1993,
« Adieu ma concubine »
/ Chen Kaige obtient
la Palme d’or à
Cannes. C’est un film distribué par Miramax, et
Harvey Weinstein effectue un
nouveau montage du film – il supprime également
dix minutes par rapport à la
version originale – avant de diffuser le film dans les
cinémas
nord-américains].
Les
frères Weinstein connaissent le succès avec
« Sexe, mensonge et
vidéo » / Soderbergh / 1989) qui
obtiendra la palme d’or au festival de
Cannes. Après une longue série de petits
succès et d’échecs (en 1992 la
société, très endettée, est
au bord de la faillite), ils vont peu à peu devenir
des professionnels incontournables du cinéma. La compagnie
Disney, dont le but
était d’arracher des parts de marché
à ses concurrents directs (Ruppert
Murdoch, Viacom, Time Warner) n’allait pas tarder
à s’intéresser à eux.
Désormais le distributeur va devenir un partenaire majeur
pour assurer le
montage financier d’un projet de film.
Chris
Mankiewicz (fils du grand cinéaste Joe Mankiewicz), alors
ancien cadre chez
United Artist, décrit ainsi Harvey Weinstein :
« Je pense qu’il
ignorait complètement qui était mon
père et qu’il s’en moquait
éperdument.
Harwey pourrait aussi bien fabriquer des beignets ou des armes
à feu que des
films. Ce sont des produits pour lui. L’ambition de ce type
était sans limites.
Il voulait faire carrière ou devenir riche à
millions [74]».
Malgré les résultats en dent de scie de Miramax,
le mode de vie des deux frères
va s’améliorer (« Ils adoraient
les hôtels de luxe, le Beverly Hills Hôtel
à Los Angeles, le Savoy à Londres,
l’Hôtel du Cap à Antibes, le Ritz de la
Place
Vendôme ; ils voyageaient en première, et
puis ils ont commencé à affréter
leurs propres avions ; ils roulaient en limousine avec
chauffeur[75] ».
3.4.3.4.2.
De
la création de
Miramax au départ des frères Weinstein
Miramax
Films Corp. leur société de production et de
distribution a été rachetée
en 1993 par la Walt
Disney Company
(Disney l’avait rachetée pour 80 millions de
dollars), tout en laissant une
certaine autonomie aux frères Weinstein (qui allaient
recevoir un salaire de
1,5 millions de dollars par an, ainsi qu’un statut
d’actionnaires privilégiés).
Avec l’argent de Disney, ils ont pu débaucher des
réalisateurs de talent et
étoffer leur catalogue de films.
Mais
les désastres financiers l’emportent sur les
succès. En 1995, ils acquièrent
pour 3,5 millions de dollars les droits de distribution de "Kids", de
Larry Clark, qui aborde les rapports sexuels, la
séropositivité et la
toxicomanie dans un groupe d'adolescents à Manhattan. En
tant que filiale de
Disney, Miramax ne peut, contractuellement, distribuer des films
classés
"NC-17"[76].
Harvey Weinstein créé donc, à titre
personnel, la société Shining Excalibur.
Porté par une vive polémique, le film
(lancé hors classification) génère 7
millions de dollars de recette. Miramax amassait de l’argent,
étoffait son
catalogue, récoltait des Oscars
(« Shakespeare in love" / Madden /
1998, « Chicago » / Marshall/
2003).
Parmi
les productions les plus marquantes de Miramax, on peut citer trois
films de
Tarantino (« Reservoir Dogs »
(1992), « Pulp Fiction »,
« Kill
Bill ») et « Farhenheit
9/11 » de Michael Moore. Par une filiale
interposée, Miramax a également produit la
lucrative série des « Scary
Movie ».
Début
2005, les frères Weinstein, créateurs de la
société, quittent la direction de
l’entreprise, après un désaccord avec
le groupe Disney (dont Miramax est
devenue une filiale). Miramax devient un des labels de Buena Vista
Entertainement. En octobre 2009, Disney annonce la réduction
des productions de
Miramax (trois films par an au lieu de six). Le 28 janvier 2010, Disney
annonce
la fermeture du studio Miramax Films : le New-York Times
évoque la
possibilité que Disney vende le catalogue de 700 films et le
nom Miramax pour
700 millions de dollars.
3.4.3.4.3.
La
création de la
Weinstein Company[77]
Les
deux frères, tandem légendaire du Hollywood
indépendant, créent un nouveau
groupe de médias, la Weinstein Company. Très vite
les nuages s’amoncellent
(« les frères Weinstein ont voulu
constituer un empire médiatique et tenté
de diversifier les activités de leur
société en investissant dans le réseau
social des stars, A small world, la
marque de vêtements Halston
et la
chaîne câblée Ovation,
mais ces choix
se sont révélés hasardeux [78]»),
et le milieu professionnel de la production murmure que les deux
frères
pourraient être amenés rapidement à
vendre leur société. Dans ce contexte,
"Inglourius Basterds" doit absolument être un
succès commercial.
3.4.3.5.
« Inglourius
Basterds », a été un film
difficile à produire
« Les
« Inrocks »
l’annoncent en 2009 : le dernier Tarantino pourrait
sortir plus tard que prévu
aux USA. Les frères Robert et Harvey Weinstein, doivent
faire face à de graves
problèmes financiers et ils n’auraient pas les
fonds nécessaires pour assurer
la promotion du film aux USA. A l’étranger, le
problème ne se pose pas :
la distribution est assurée par la major Universal Pictures.
Les frères
Weinstein soutiennent Tarantino depuis ses débuts et
comptent bien sur son
dernier film pour sauver leur firme »[79].
Laurence
Bender est le producteur du film. Il a produit tous les films de
Tarantino à
l’exception de « Boulevard de la
mort ». Il interprétait de petits
rôles dans chacun des films. Tarantino
a passé près de dix ans à
écrire le scénario du film. Tarantino voulait
atteindre un résultat exceptionnel, le meilleur de sa
carrière. Tarantino
pensait d’abord s’inspirer de classiques tels
« Les douze salopards /
Aldrich » ou « Les canons de
Navarone / Thompson». La première
mouture ressemblait à un western, une sorte
de « Le Bon, la Brute et
le Truand » situé dans la France
occupée par les Allemands. Comme pour ses
autres films, Tarantino entend faire preuve du sens de
l’humour qui autorise le
public à rire à des choses qui ne sont pas
drôles. En 2002, « Inglourious
Basterds » s’annonçait comme un
film plus important que prévu. Trois
scénarios étaient écrits (Tarantino se
félicitait de leur qualité), mais il ne
parvenait pas à trouver une fin satisfaisante. Alors le
réalisateur réalisa
« Kill Bill », avant de revenir
à son projet en 2005. Tarantino
décrivait alors les héros de son projet comme des
soldats qui ne
correspondaient pas à l’image traditionnelle des
soldats de cette guerre. Le
film serait une sorte de western spaghetti situé dans la
France occupée. Pour
Tarantino, il n’était pas question de coller
totalement à cette époque
(« Je ne vais pas me contenter de musiques
d’Edith Piaf ou des Andrew
sisters. Je peux aussi utiliser du rap. Je peux faire ce que je veux,
selon mon
inspiration »). A la fin de la période
d’écriture, Tarantino pensa que
Brad Pitt serait idéal pour le rôle
d’Aldo Raine. Une fois le casting
précisé,
Samuel L. Jackson et Harvey Keitel acceptèrent de participer
au projet (en
étant respectivement la voix du narrateur et le commandant
de l’OSS (Office of
Strategic Services[80]),
Tarantino
prépara avec l’équipe de
production de la Weinstein Company ce qui devait être son
projet le plus
ambitieux. En septembre 2007, la presse
spécialisée doutait de l’aboutissement
d’un projet aussi conséquent. En Juillet 2008,
Tarantino et ses producteurs
exécutifs Harvey et Bob Weinstein mirent au point un
calendrier de tournage qui
devait permettre la présentation au Festival de Cannes en
2009. La Weinstein
Company devait co-financer le film et assurer sa distribution aux
Etats-Unis.
Plus tard, les producteurs signèrent un contrat avec
Universal Pictures qui
devait compléter le financement du film et en assurer la
distribution dans le
reste du monde. Le tournage (effectué –
précise Tarantino -dans un "état
d'urgence[81]")
pouvait alors commencer en France et en Allemagne (studios Babelsberg)
en
octobre 2008. Le film est sorti dans les salles en Août 2009.
Puisque
le film a été un triomphe commercial, les
frères Weinstein ont alors proposé à
Disney de « racheter Miramax, la
société qu’ils ont fondé et
vendu à la
société de Mickey en 1993 ; pour cela,
ils ont réuni la somme de 700
M$ [82]».
Après
avoir évoqué le référent
explicite du film (la France de 1941 à 1944), les
caractéristiques du système
de production nord-américain et les rôles
créatifs de Quentin Tarantino, il est
temps de proposer une synthèse et de tenter de comprendre
à quel monde renvoie
probablement "Inglourious Basterds".
3.5.
Hypothèse
: Tarantino, héritier d’une cinéphilie
mondialisée, cinéaste
innovant, en phase
avec son époque, face à des studios hollywoodiens
tout puissants, mais
conservateurs et stéréotypés.
3.5.1.
Le film
s’inscrit dans un genre exploré par de
nombreux cinéastes : le cinéma au miroir
du cinéma
"Les films
décrivant le monde de
la création cinématographique constituent un
véritable genre, surtout
hollywoodien[83]".
De nombreux films ont évoqué et
évoquent (des deux cotés de
l’Atlantique) les
rapports tumultueux entre les créatifs et les financiers, le
monde contraignant
des studios et les projets des indépendants
(« Les ensorcelés » /
Minnelli / 1952), (« Boulevard du
crépuscule » / Wilder / 1950),
« Le Mépris" / Godard / 1963),
(« La nuit
américaine » /
Truffaut / 1973). Certains films (« Tucker / Coppola
/ 1988), bien que
situés dans des milieux en apparence totalement
différents (ici l’automobile)
peuvent également éclairer les affres, les doutes
et les espoirs d’un créateur
de génie (le cinéaste)
étouffé par un environnement hostile (majors,
législation). Cet exercice permet bien souvent à
l'auteur d'exprimer un point
de vue personnel sur son Art, sur les joies et les
difficultés de la création
cinématographique, sur les rapports de pouvoir à
Hollywood. L'auteur s'avance
masqué, mais sa présence est bien
réelle.
3.5.2.
Dissimulé
par la seconde
guerre mondiale, le monde du
cinéma
Chacun
des personnages principaux du film est en relation, directe ou
indirecte, avec
le monde du cinéma : acteurs réels ou
imaginaires (Emmil Jannings,
Frederik Zoller, Bridget Von Hammersmark), critique (lieutenant
anglais),
projectionniste (Marcel), exploitante de cinéma (Soshanna),
public (le
lieutenant Raine trouve que les tortures et les massacres
perpétrés par
« l’ours juif »
constituent un plaisant spectacle, « comme au
cinéma » ; dans la
scène de l’auberge, les participants au jeu
doivent faire preuve de culture cinématographique et
connaître King Kong),
« Producteur » (Goebbels
« produit » le film de propagande
« la Fierté de la
Nation »), cascadeur et technicien (fausse
identité
des « Basterds » pour
pénétrer dans le cinéma).
L’historien Christian
Delage envisage une hypothèse
séduisante : « Le pari de
Tarantino est
de considérer Hitler comme un mogul dont le studio serait
l’Allemagne et la
conquête du monde un enjeu
cinématographique [84]».
Nous allons tenter de développer et de préciser
cette hypothèse.
3.5.3.
L’Europe,
temple de la
cinéphilie, occupée et en voie
de régression
L’Europe
de la cinéphilie est bien une
réalité : les britanniques se
préoccupent du
mode de production des films et possèdent des
spécialistes fins connaisseurs
des productions cinématographiques ; les Français
travaillent dans l’univers du
cinéma, peuvent créer, en amateurs ("Marcel, dit
Shosanna, nous allons
faire un film uniquement pour les nazis") des productions qui ne
peuvent
tenter de rivaliser – le combat est vain – avec les
images formatées réalisées
par "l'Occcupant".
Les
Français privilégient les auteurs (Shosanna
défend Pabst en mettant son nom au
fronton de son cinéma). Le tireur
d’élite et acteur vedette
Frédéric Zoller se
révèle un parfait cinéphile.
Si
le "film" de Shosanna parvient, malgré les
difficultés, à être
présenté à son public, cette
réalisation marquera une impasse (Shosanna et son
« metteur en scène »,
Marcel, disparaissent, et éliminent également
leur seul allié potentiel dans l'autre camp,
Frédérik Zoller).
3.5.4.
Les
« forces d’occupation »
écrasent… le cinéma d'auteur
européen
L’Europe
est
« écrasée »
par
une force impérialiste qui l’empêche de
s’affirmer, qui ne lui permet plus de
continuer à faire vivre son immense patrimoine. Hitler et
Goebbels, qui
disposent pour leurs productions d’un budget
considérable, entendent
imposer aux Français, aux
européens, une « grande machine
filmique » sans âme, qui
s’apparente
complètement à l’esthétique
et aux enjeux d’un jeu vidéo
« primaire »
(tuer le maximum d’ennemis) dans la monotonie, sans
invention, sans proposer la
moindre idée originale ou intéressante, sans
renouveler la culture
cinématographique. Hitler et Goebbels sont les
maîtres dans leur secteur
d’activité, ils n’ont pas de
réelle concurrence. Zoller, parfait cinéphile,
doué d’une véritable ambition
artistique, quitte la salle pendant la projection
(alors qu’il avait tout fait pour tenter de relier les deux
systèmes, les
grosses productions promises au succès -
« la fierté de la
nation » -
et la cinéphilie européenne incarnée
par Shosanna).
Hitler et Goebbels,
principalement
préoccupés par la mise en place
hégémonique de leur conception du
cinéma, sont
aidés dans leur projet par un séide aux
méthodes extrêmes (cf. la première
séquence), le colonel Landa. Ce dernier
n’hésitera pas à éliminer
celle qui
appartient à son camp (Bridget Von Hammersmark), mais qui le
trahit sans
contrepartie, pour des motifs de « vision du
monde ». Le colonel
Landa, au final, fera le « bon
choix » et rejoindra les tenants d’une
forme cinématographique différente.
3.5.5.
Les
« barbares » porteurs de
nouvelles valeurs humaines et
cinématographiques
Au fond, Hitler et le
lieutenant Raine
appartiennent au même monde. Ils sont prêts tous
les deux à imposer leur vision
du monde basée pour l’un sur un système
économique sans rival, et pour l’autre
sur la violence et la cruauté. Hitler est un homme de
pouvoir installé, le
lieutenant Raine est un
« outsider » qui entend le
concurrencer.
Le combat semble
inégal, pourtant, avec
l’aide – involontaire – des
Européens qui ont su faire vivre leur héritage
cinématographique, c’est bien Hitler, Goebbels, et
leur conception
« commerciale » du
cinéma (sans invention, sans talent) qui vont
disparaître. Le lieutenant Raine et ses
« Basterds » seront
aidés par
le revirement du colonel Landa, qui croit pouvoir engranger les
bénéfices
substantiels de son ralliement à ces
« contestataires » : la
marque qu’il recevra sur le front lui montrera que,
même s’il peut être leur
allié ponctuel, il ne fera jamais partie du même
« monde » que les
« Basterds » (il est bien trop
policé, porteur des valeurs, du
« savoir-vivre » de la culture
« distinguée »).
3.5.6.
Quentin /
Aldo : les deux faces d’une même
pièce ?
Dans la logique de
cette hypothèse, on
peut ici constater le parallélisme entre le
réalisateur et son personnage
principal : liens avec l’Italie (Tarantino / Aldo),
même origine
(naissance dans le Tennessee, sang indien dans les veines),
amitié / complicité
avec la communauté juive (ses producteurs, Laurence Bender
et les frères
Weinstein / le commando des
« Basterds »). On peut donc
relire maintenant
différemment le dernier plan du film (le lieutenant Raine
grave une croix
gammée sur le front du colonel Landa qui a pourtant mis fin
à la deuxième
guerre mondiale en laissant réussir le complot contre Hitler
et les dignitaires
du IIIième Reich). Nous, les
spectateurs, sommes à la place du
colonel, « marqués »
par le très puissant lieutenant, sous sa coupe,
sous son contrôle (regard caméra), et il nous
dit : « Je crois
que j’ai réussi là mon
chef-d’œuvre ! ».
Nous, les
spectateurs, sommes pris à partie
et sommés de constater la « nouvelle
donne », le coup d’état
réalisé
par « Quentin / Aldo » et ses
amis juifs : le cinéma
« ancien », la formule
traditionnelle qui a fait pendant des
décennies le succès de l’industrie
hollywoodienne et leur a permis de s’imposer
dans le monde entier (y
compris en
Europe), est maintenant dépassée. Une nouvelle
forme de cinéma est née, jeune,
dynamique, ouverte sur la vraie culture
« populaire »,
intégrant
toutes les formes (classiques ou marginales) de la
cinéphilie. Ces
« révolutionnaires »,
agressifs, insolents, engagés dans une lutte
sans merci, imposent également de nouvelles
valeurs : au pouvoir, à la
domination sans partage, à
« l’argent roi » du
système hollywoodien,
ils préfèrent un dialogue direct avec le public,
dont ils partagent le goût
supposé pour la violence, la perversion, les
décalages, la musique
« fun », et... le
cinéma "Bis". C’est le triomphe de la
marge sur la norme hollywoodienne, la victoire de
l’autodidacte transgressif
sur l’industrie standardisée et conformiste.
Son dernier film
« Boulevard de la
mort » avait été un grave
échec commercial, et Tarantino se devait
impérativement de trouver la formule, la recette
éprouvée qui lui permette de
mobiliser son public. Il a pleinement atteint son objectif.
3.5.7.
« Inglourious
Bastards », une catharsis personnelle ?
3.5.7.1.
Des images
paternelles et maternelles qui emprisonnent l’enfant et
l’empêchent de grandir
(retour sur la première séquence)
La
première séquence répartit les
rôles
avec une clarté apparemment évidente :
M. Lapadite et ses filles cachent,
au péril de leur vie, une famille juive, le colonel Landa et
ses hommes
terrorisent la famille et assassinent les Juifs cachés sous
le plancher de la
maison. Tentons une deuxième lecture de cette
séquence initiale. M. Lapadite
contrôle - avec tous les pouvoirs - son
environnement : ses filles lui
obéissent, Shosanna et les siens sont à
l’abri des regards extérieurs. M.
Lapadite utilise des outils qui renvoient à la nature,
à la force brute, à la
castration (la hache). Il est seul, sans femme, avec trois adolescentes
réputées pour leur beauté, et en cache
une quatrième, prisonnière ( ? )
sous le plancher.
Face à
lui, le colonel Landa, autre
figure paternelle, est lui aussi porteur de violence (hommes /
« fils » armés). Il se
« mesure » au Père
français dans un
combat symbolique et utilise des
éléments qui vont finalement
déstabiliser
ce dernier : maîtrise du langage,
éléments féminins (verre de lait) ou
masculins (pipe). La «victoire » du
colonel ne serait donc pas seulement
la destruction de la famille juive cachée, mais aussi la
« libération » de
l’enfant Shosanna,
« prisonnière »
d’un
Père au pouvoir illimité sur les siens
(l'intervention du colonel permet
concrètement à Shosanna d'être
expulsée du "ventre maternel" de la
maison qui l'abritait / l’emprisonnait et de voir enfin le
jour); Par son
action violente, le colonel lui donne sa place dans le monde,
l’encourage paradoxalement
à vivre. Désormais elle va pouvoir, dans un autre
environnement, se mettre au
service d'idéaux (la Justice) et de valeurs (le
cinéma) qu’elle va pouvoir
défendre. Dans le cadre de notre hypothèse, on
peut envisager le personnage de
Shosanna, dans cette séquence, comme un
« double » du
cinéaste,
prisonnier d’une structure familiale
déséquilibrée, étouffante,
et dont les
premiers contacts avec le monde du cinéma (le colonel Landa,
au service des
Majors), vont lui donner une certaine autonomie, avant que son histoire
personnelle ne le mène à combattre, bien plus
tard - sous une forme plus
« virile » et mature - ces
mêmes majors).
Nous retrouverons ce
versant protecteur
et féminin de la personnalité de la figure
paternelle du Colonel quand, dans le
café parisien où les deux personnages se
retrouvent, le Colonel demandera que
l’on serve à Shosanna un verre de lait. Notons par
ailleurs qu’en
« libérant » Shosanna,
le Colonel Landa va aussi permettre au
personnage d’Aldo Raine d’intervenir dans le
récit (le lieutenant Raine se
trouve du côté du "Moi idéal",
exalté, conquérant, héritier de la
toute puissance des rêveries de l'enfance). Les deux
« enfants » du
colonel (les deux « doubles » de
Tarantino ?) vont devoir
maintenant gérer au mieux leurs relations avec cette figure
paternelle
monstrueuse, ambivalente, dont il faut se méfier et
qu’il faut finalement
parvenir à contrôler, sous peine de mettre en
danger sa propre existence.
3.5.7.2.
Hypothèse :
Le châtiment de la figure
paternelle
Le lieutenant Raine
est un vrai héros,
sûr de son droit, qui ne connaît ni le doute ni
l'angoisse. Le lieutenant Raine
et le Colonel Landa se connaissent, mais ils ne vont se rencontrer
qu’à la fin
du film. Ils partagent, chacun à leur manière, la
même aversion pour le pouvoir
cinématographique incarné par Hitler et Goebbels
(qui représentent dans cette
hypothèse les Majors hollywoodienne). Si le lieutenant Raine
accepte la
présence du colonel dans la nouvelle
société mondiale que nous propose le film,
cela passe par un acte cruel et humiliant, le lieutenant grave une
svastika
(croix gammée) sur le front du colonel. Le colonel, qui a
négocié son arrivée
aux USA, n’est pas le prisonnier du lieutenant : il
incarne une figure
d’autorité, susceptible de le commander
prochainement. Par son geste, par sa
révolte en dépit des ordres reçus, le
lieutenant refuse cette autorité, rejette
cette image paternelle au passé sulfureux. C’est
là le geste d’une personnalité
immature, qui obéit à des pulsions qui le
dépassent. Il est par ailleurs
intéressant de noter que le
« Père » va
châtier en l’étranglant (dans
une étreinte à forte connotation sexuelle) la
seule femme qui a laissé, dans le
récit, le « Fils »
accéder à l’intimité de son
corps.
Venu des montagnes,
le lieutenant Raine
est surnommé
« l’Apache »
(Tarantino, né dans le Tennessee, a lui
aussi du sang indien dans les veines). Personnage sans famille, sans
attaches,
il est emporté par son obsession (s’imposer,
être reconnu, combattre Hitler /
les Majors), aidé par son commando Juif (Lawrence Bender /
les frères
Weinstein). Tentons d’éclairer cette confrontation
finale entre le lieutenant
et l’image paternelle incarnée par le colonel
Landa, en nous référant à
quelques éléments de la biographie de Tarantino.
3.5.7.3.
Un petit
garçon
solitaire privé de son père.
« On
a donné à Tarantino, né en
1963, le même prénom que le forgeron
métis Quint (incarné par Burt Reynolds) de
la série western Gunsmoke[85] ».
« Après le départ rapide de
son père, aspirant comédien, Quentin
Jérôme
Tarantino grandit dans une banlieue triste de Los Angeles. Il
vécut avec sa
mère et une série de pères de
substitution. Lorsque sa mère épousa
l’un d’eux,
l’adolescent adopta le patronyme de son nouveau
beau-père, devenant Quentin
Zastoupil. Il changeait souvent d’école ;
son nom et son aversion pour le
sport lui valurent
le statut d’excentrique,
de solitaire. Il séchait les cours aussi souvent que
possible : il passait
la journée à la maison, à lire des BD
et à regarder la télévision
3.5.7.4.
Un comportement
parfois immature ou régressif, mais
une ambition dévorante
En partie
à cause de la folie
médiatique dont il était l’objet et de
ses obligations incessantes, il lui
arrivait de disparaître pendant des périodes plus
ou moins longues. Il se
terrait alors chez lui et passait des nuits entières
à regarder des téléfilms
plats, minables, sans aucun intérêt, en fumant de
l’herbe. Et pourtant il était
collé à son siège. On aurait pu lui
montrer n’importe quoi, mettre la télé
à
l’envers, projeter une image floue, il aurait quand
même continué à regarder.
C’était comme un gamin avec sa sucette, un petit
garçon solitaire dans le cocon
de son salon [86]».
« Après
le succès de « Pulp
Fiction », il quitta son appartement miteux de
Crescent Heights pour une
maison grandiose à Hollywood Hills, à un jet de
pierre des studios Universal.
Certains de ces amis baptisèrent ce nouveau logis, non sans
dérision, « le
château ». L’endroit croulait
sous les souvenirs de tournage – affiches,
jouets, poupées, photos représentant ses
personnages. Comme beaucoup de
domiciles de stars, le sien devint un monument à sa propre
gloire »[87].
3.5.7.5.
Beaucoup de
frustrations accumulées que Tarantino adulte essaie de
compenser et de
dépasser.
« Je
n’ai jamais pensé faire des études de
cinéma. Je ne suis pas allé à la fac,
je
ne suis même pas allé au lycée.
C’est en faisant mon premier film que j’ai fait
mon apprentissage de la réalisation. Les gens
déboursent de petites fortunes
pour aller à la fac, et j’ai envie de leur
dire : « Gardez votre
argent, putain, faites plutôt un film
avec ! [88]».
Pour certains,
Tarantino serait un
cinéaste visionnaire, un géant de la mise en
scène. Pourquoi pas ! Mais
c’est aussi un adulte
« cool », égocentrique
et narcissique (il aime
tout raconter de lui et de sa vie) dont l’enfance chaotique
s’est déroulée sans
repères, sans
« Histoire » autre que celle
qu’il s’est lui-même
inventée dans les « séries
B » du monde entier qu’il a
consommées
sans modération. Cette immersion dans un monde imaginaire
doit avoir des causes
profondes dans la structure de sa personnalité, elle
n’est sans doute pas le
fruit du hasard... Un travail complémentaire
d’analyse reste à effectuer, au
regard de sa filmographie actuelle et à venir (examiner par
exemple pourquoi
l'amour et les relations hommes / femmes sont souvent en relation avec
l'anéantissement et la mort).
Mais saluons sa
performance en stratège
du marketing : il a su en quelques années
créer de toutes pièces une
« marque », un
« produit », un
« dispositif »
dont l’évolution séduit,
intéresse le public (et ce produit, on l’aura
deviné,
c’est bien – vedettes glamour, rythme
déjanté, humour au second degré,
musique
branchée - « le
style
Tarantino » !).
S’il est
aussi facile aujourd’hui de
jouer avec les codes, avec les faits historiques, avec les crimes
contre
l’Humanité, c’est bien parce que la
forme cinématographique elle-même a
évolué.
Les critères de l’excellence ont changé
du tout au tout, et permettent aux
critiques de cinéma (du Figaro comme de
l’Humanité ou de Télérama)
d’encenser
(au risque de faire perdre tous repères à leurs
lecteurs) ce cinéma de potache
provocateur et malsain.
Nous pouvons
constater, dans d’autres
domaines, que le Président de la République
française s’autorise à lancer des
attaques contre le patrimoine culturel national (ses propos contre
« La
Princesse de Clèves ») et à
piétiner, dans ses rapports avec les citoyens,
les codes inhérents à sa fonction (le
très spontané et déjà culte
« Cass’toi
pauv’ con ! »)...
Tentons de
définir maintenant les
contours de ce cinéma
« post-moderne ».
4.
Un
cinéma désormais sans repères, presque
sans
mémoire
« Tarantino
s’est vite
imposé comme un des maîtres du cinéma
post-moderne, non linéaire et
terriblement référentiel [89]».
4.1.
L’ère
« post
moderne » du cinéma ou
l’effacement progressif des normes
« Maintenant
le film fun et tous publics est à nouveau susceptible de
drainer les foules.
Dans les films « post moderne »,
on rencontre ça et là dans le récit
de petites touches d’ironie que le metteur en
scène ne croit pas tout à fait à
la cohérence de son récit. (...) C’est
ce qu’il est convenu d’appeler un cinéma
du troisième degré. Le cinéma
« post moderne » est modeste et
repose
sur la conscience que tout à été dit,
déjà, et qu’il faut reprendre les
anciennes règles en renouvelant ce qui peut
l’être. Cette conscience de
« venir après » fait
souffler une certaine liberté de mouvement sur
les films, en leur permettant de « tout
montrer », d’emprunter toutes
les esthétiques possibles, et de raconter
n’importe quoi du strict point de vue
moral (grâce à l’assouplissement des
codes de censure, on peut goûter la
violence et le sexe qui faisaient défaut aux
« vieux » films). Les
metteurs en scène qui privilégient ces choix
esthétiques (ils se complaisent
dans le relativisme moral et s’inspirent souvent de
cinématographies
lointaines) peuvent à leur tour intégrer le
système hollywoodien, ou lorgner
vers le supplément culturel européen
grâce aux co-productions[90] ».
Faisant
preuve d’un humour certain, François Khan est
l’auteur d’une excellente et très
documentée « Encyclopédie du
Cinéma ringard [91]»,
joyeusement sous-titrée « Le
cinéma de bazar et d’essais ».
Cet
ouvrage évoque avec nostalgie les grands thèmes
du genre (vampires, ados, gros
bras, nichons, disco, etc) et ses personnalités majeures
(Emile Couzinet, Max
Pecas, Ed Wood, les Charlots, etc.). L’article
consacré au film de
Bernard-Henri Levy permet à l’auteur non seulement
de préciser tout le mal
qu’il pense de ce film et de son auteur, mais aussi de
tenter, en guise de
conclusion, une excursion dans un univers ignoré par le
reste de l’ouvrage,
celui de la cinéphilie classique et reconnue :
«(...) Il semble
malheureusement que cette justification et le film
qu’elle a suscité
aient fait hurler de rire n’importe quel spectateur de
Bergman, Antonioni, Ozu
ou Hitchcock ». Ce sera ici la seule passerelle
reliant ces deux
dimensions de l’expression cinématographique, le
cinéma « classique,
académique, reconnu, culturel,
légitime » et le « film
ringard ».
François Kahn nous parle avec talent et sérieux
de films sans grande
importance, mais il aurait très bien pu tout aussi bien
apporter un regard
personnel et argumenté sur les œuvres
« fortes » des
réalisateurs
cités ci-dessus : en effet, comme nous le signale
la quatrième de
couverture de son livre, François Kahn est
« agrégé de Lettres et
normalien », il appartient pleinement à
l'univers des "Lettrés".
Autre
exemple avec Eric Dufour, maître de conférences en
philosophie à l’Université
de Toulouse-Le Mirail, qui a consacré un ouvrage passionnant
au...cinéma
d’horreur[92].
Il est temps maintenant
de faire plus ample connaissance avec la bande de cinéastes
« post-modernes » qui accompagne
Quentin Tarantino.
4.2.
Les
nouveaux
porte drapeaux de l’ère post moderne au
cinéma : Tarantino, Avary, Miller,
Rodriguez, Roth.
« Voir
Donny défoncer un nazi, pour nous c’est comme
d’aller au cinoche ! »
clame le lieutenant Raine, avant le meurtre barbare du soldat allemand
désarmé
par le sergent Donowitz, « l’ours
juif ». Cette déclaration est
à
prendre au sérieux ! Elle constitue les fondations
du cinéma
« jouissif »,
transgressif et ultra violent que prônent
Quentin Tarantino et ses comparses.
Brève
présentation des principaux membres de cette
« bande »
contestataire:
§
Roger
Avary débute dans un vidéo-club,
aux cotés de Tarantino avec qui il partage la passion du
cinéma. Peu après il
co-écrivent ensemble le scénario de "Pulp
Fiction" (ce qui lui vaut
un Oscar du meilleur scénario original). En 1994, il se
lance dans la
réalisation (il est également le
scénariste de "Killing Zoé", un
thriller décalé et provocateur. Il
écrit les scénarios de "Crying
Freeman" et de "Silent Hill", des films du français
Christophe
Ganz. En 2002, il adapte le roman provocateur "Les lois de
l'attraction" [fêtes et débauches dans un univers
estudiantin]. En 2008,
il conduit en état d'ivresse et provoque un grave accident
entraînant la mort
d'un de ses amis. Il est condamné à une peine de
prison.
§
Frank
Miller :
Scénariste ("Robocop 2" et "Robocop 3" et dessinateur de
bandes dessinées (dont certaines – "Sin City",
"300",
"Batman, the dark knigt") ont été
portées à l'écran). Fasciné
par les
armes à feu et la violence, Frank Miller a soutenu la
politique étrangère du
Président Georges W Bush.
§
Robert
Rodriguez (né en 1968) est un
réalisateur et musicien américain d'origine
mexicaine. En 1992, il se fait
connaître avec son premier long métrage, "El
Mariachi], tourné en espagnol
avec un budget de 7 000 dollars. En 1996, il met en scène
Tarantino dans une
scène de son film (distribué par Miramax)
« Une nuit en enfer » [une
prise d'otage sanglante qui se solde par une rencontre avec des
zombies].
Tarantino, Bender et Rodriguez sont les producteurs. Tarantino a
écrit le
scénario de ce film qui va rapporter 26 millions de dollars.
Deux ans plus
tard, Robert Rodriguez s'essaie à la science-fiction
(« The
faculty », distribué par Miramax), [des
créatures extra-terrestres
prennent la place des professeurs dans un collège]. Sa
trilogie "Spy
kids" sera un grand succès commercial. En 2003, il tourne
"Sin
City" [des adaptations d'albums de BD de Frank Miller qui alternent
crimes,
violences et tortures][93].
En
2007, il co-réalise avec Tarantino le film en deux parties
"Grindhouse", dont la partie "Planète terreur" est un
hommage aux films de zombies.
§
Elie
Roth, cinéaste
produit par son ami Tarantino (et acteur de
son film) : Né dans une famille ayant des origines
religieuses juives et
chrétienne, Elie Roth a toujours été
passionné par les films d'épouvante (à
11
ans il "démembrait" ses frères dans sa
première création en super-8.
Il est diplômé (1995) de l'université
de New-York (filière cinéma) et
réalise
une cinquantaine de courts métrages, tout en vivant de
petits boulots. Il fonde
une maison de production en réalisant des courts
métrages (notamment
d'animation). En 2005, avec le soutien de Tarantino, il sort "Hostel"
– un film d'horreur qui connaît un grand
succès public (il va réaliser ensuite
"Hostel – chapitre 2", toujours produit par Tarantino. Roth
se
retrouve dans plusieurs projets de Tarantino. Il réalise une
fausse bande
annonce pour "Grindhouse" (le projet commun de Tarantino et de
Rodriguez), joue une petit rôle dans "Boulevard de la Mort",
et
interprète un des rôles principaux de "Inglourius
Basterds" (il
incarne "l'ours juif"). "Hostel" raconte les aventures de
jeunes touristes américains pour qui l'Europe est la terre
de tous les vices.
Ils vont être enlevés et vendus à de
riches européens qui les torturent et les
tuent avec beaucoup d'inventivité. Avant d’entamer
le tournage de « Hostel
– chapitre 2 », Eli Roth, le
réalisateur,
avait promis que « son film
pulvériserait la règle selon laquelle
dans un film d’horreur on ne peut pas tuer un enfant plein
champ [94]».
Quentin Tarantino lui a
confié la réalisation du film de
propagande "Fierté de la nation" qui est inclus dans
"Inglourius
Basterds" (Suprême ironie – ou perte
définitive des repères – ce
cinéaste
apparaît dans les bonus du DVD du film en
réalisateur nazi, fier de son œuvre,
heureux de servir Goebbels et le Reich. Il déclare lors du
tournage :
« Quentin a demandé au
réalisateur juif de faire un film de propagande
nazie[95] »).
On peut remarquer ici que le
fonctionnement fictionnel des
"Basterds" se rapproche des relations entre ces amis liés
par une
passion commune pour un certain cinéma de genre : ils sont
en révolte, en
rupture avec un monde codifié, ils forment un groupe
fermé, basé sur la
transparence des rapports et sur la loyauté. Ils partagent
le même plaisir de
transgresser le bon goût et les valeurs sociales qui lient
les êtres humains.
Cette « dream team »
d’un certain cinéma autour de la figure de
Tarantino
partage la même fascination pour la violence la plus
extrême. Tentons ici aussi
de proposer quelques hypothèses.
5.
Violences,
sadisme, tortures
"Aller
au cinéma voir un film de peur, c'est entreprendre
à distance un jeu avec le
réalisateur du film. Jeu ambigu, toujours un peu dangereux,
car nous ne sommes
jamais assurés que le film ne dépassera pas les
bornes de ce que nous voulons
bien supporter. Sans doute est-ce
d'abord de cela que nous avons peur : de se laisser
surprendre par
l'image que nous ne voulions pas voir, l'image qui choque et qui fait
réellement violence. Et parfois l'image survient : le jeu
tourne court,
l'effroi l'emporte sur la peur savoureuse. Les jeux avec la peur ne
sont jamais
complètement inoffensifs[96]".
"L'individu
effrayé a l'esprit accaparé par le danger et
n'est plus capable d'un jugement
ou d'un raisonnement suivi. Ses idées sont floues et
désordonnées; le champ des
facultés intellectuelles se rétrécit
fortement[97]".
5.1.
Des
scènes de
violence gratuite qui posent question
L'Amérique dans laquelle
vivent les membres de l'équipe de
production entretient un rapport trouble avec la torture. Pour
certaines
personnes, il y a eu une forme de laxisme concernant l'application de
la
Convention de Genève, convention qui garantit la protection
des détenus en
temps de guerre. Sous la présidence de Georges W. Bush, il
semble que (suite
aux attentats du 11 septembre 2001) des tortures, d'un niveau
"acceptable", aient été infligées
à des prisonniers gardés au secret
absolu, sans être assistés par des avocats, sur la
base de Guantanamo, enclave
militaire US sur l'île de Cuba. Pour des tortures plus
"poussées",
les USA remettent quelques prisonniers à l'Egypte ou
à la Syrie.
Incontestablement, la "guerre contre le terrorisme" va à
l'encontre
des principes des Droits de l'Homme. Il est
généralement admis que Tarantino
nous offre (avec l’humour qui introduit une certaine
distance) le frisson de la
perversion, pas la perversion elle-même. Mais certaines
images peuvent sidérer,
voire corrompre... Essayons de préciser cette question, en
essayant de dépasser
le simple point de vue moral.
Dans ses films, Tarantino,
spécialiste maintenant reconnu
de l'effraction psychique, ne manque pas de placer ses personnages dans
des
univers où, comme dans l'actualité la plus
présente, il
convient de faire des choix, et il faut
parfois faire taire ses idéaux humanistes pour obtenir un
résultat coûte que
coûte. Les personnages de "Réservoirs dogs" ou de
"Pulp Fiction"
n'hésitent pas à basculer dans l'hyper violence
gratuite, dans la torture; il
s'agit vraiment d'une jubilation de la destruction. Le spectateur des
films de
Tarantino (qui n'est pas un adepte fanatique des films "gore" - un
« viandard » -, qui pourtant
apprécie qu'on lui raconte des histoires
"épicées") sait qu'au détour de ce
plan apparemment anodin, une
séquence d'une fulgurante cruauté et d'une
immense violence va l'assaillir, le
submerger, le sidérer, le tétaniser. Il s'agit
bien maintenant d'un code, d'un
lien secret (et sadique) entre le réalisateur et son public
(même si ces
nouvelles "conventions" cinématographiques choquent et
stupéfient les
spectateurs – les spectatrices ? - qui ne sont pas
habitués à ce niveau de
perversion, à cette véritable effraction de leur
personnalité, à ce
traumatisme). Tarantino est devenu, au fil des films, notre agresseur,
et,
ambivalents, nous acceptons d'être ses victimes[98].
Un
film de Tarantino nous plonge dans l'angoisse en nous
confrontant à un monde sans règles
et sans
Loi : en sort-on parfaitement indemne ? ("L'angoisse est existentielle
ou
transcendante; elle appréhende l'absence de règle
ou de Loi"[99]).
Tout cela, au fond, n'est qu'un
jeu, une fiction, un monde
de signes et d'images qui semblent nous transporter loin de la
réalité !
Pourtant le récit d'un récit traumatique garde
tout son impact traumatique.
Nous sommes bien obligés de constater que Tarantino n'entend
pas éclairer les
ténèbres, ré-enchanter le monde. C'est
bien le contraire qu'il nous propose. Comment
cette mise en scène de la mort, parfaitement
maîtrisée, pourrait-elle nous
rendre plus humains ?…
Dans une
société "libérale", riche mais
angoissante, où chacun doit prouver son
efficacité, sa
« performance », sa
volonté de vaincre (de détruire ?), les films de
Tarantino (issus d’une déjà longue
tradition de films de série
« B »)
tendent bien à diminuer notre sensibilité,
à faire tomber nos scrupules.
"Décomplexés," "modernes", bousculant
l'imaginaire, ils
flattent les attentes transgressives et soumettent le spectateur
à des pulsions
de Mort; ils l'habituent à rencontrer et à
accepter, sans prise de distance,
des images de plus en plus insoutenables, toujours sous couvert de
"modernité" ("Plus je suis brutal et vulgaire, plus je suis
théorique et abyssal, donc je signe à voix haute
mon chef-d'œuvre au couteau[100]").
Puisque le cinéma de Tarantino présente un
caractère choquant, en exposant avec
cynisme un interdit social (la violence et la torture), on peut tout
à fait
légitimement qualifier cette production perverse
d'obscène.
5.2.
Masques
scénaristiques pour dissimuler l’inacceptable
Tarantino
a effectué un déplacement
scénaristique des plus utiles pour
délégitimer les
scrupules de ses rares adversaires : en lieu et place des
habituels
personnages pervers et psychopathes qui se livraient à des
actes de violence
gratuits, nous voici désormais dans le cadre d’une
guerre qui s’est vraiment
déroulée, et nous adoptons le point de vue des
« gentils » qui
combattent la Barbarie. Dans ce contexte, sachant qu’il
s’agit de sauver des
vies innocentes et de punir comme ils le méritent les
« méchants »,
comment nous, les spectateurs, pourrions nous refuser
l’utilisation de la
violence et de la torture ? Les sévices
infligés aux Nazis ne seront
jamais assez cruels pour égaler la noirceur de leurs
crimes... Tarantino, par
ce dispositif, va libérer nos derniers scrupules, et
justifier les scènes
sadiques qu’il nous invite de cautionner
(« Va-t-on me reprocher d’avoir
été trop brutal avec les
Nazis ? [101]»).
Mais, répétons-le, il ne s’agit
là que d’un leurre, que d’un masque pour
dissimuler des scènes et un contexte transgressif qui
doivent choquer, sidérer,
et au final modifier – dans le sens d’une plus
grande acceptation de la
violence du monde libéral dans lequel nous vivons
– l’esprit du spectateur
On
pourrait évoquer ici l’économie
psychique du cinéma de Tarantino, qui recherche
au maximum les décharges énergétiques,
immédiates et brutales, pour mieux
permettre au spectateur / individu d’éloigner les
menaces de désintégration et
de retrouver une certaine détente, un semblant
d’équilibre précaire,
agréable
ou désagréable, une fois le traumatisme
constitué par le film dépassé.
Incontestablement, les films de Tarantino (basés sur la
collaboration de
l'intelligence et de l'instinct du réalisateur), nous
plongent (victimes ou
complices ?) au cœur des forces les plus primitives,
terrifiantes et
incontrôlables de notre appareil psychique. Un peu comme les
victimes du
syndrome de Stockholm, nous voici attachés,
fascinés par notre bourreau (ce
lien n’est presque jamais évoqué par
les critiques)...
5.3.
Le
doigt dans la
plaie : une scène caractéristique du
cinéma de Tarantino, curieusement
« oubliée »
"La
simple action de
cadrer, inhérente à la genèse de la
majorité des images, est le fruit d'une
sélection[102]".
5.3.1.
Brève
description de
cette séquence
La
longue scène de la taverne se termine par la blessure par
balle que reçoit à la
jambe de l’actrice Bridgett Von Hammesmark (agent double au
service des
alliés), et précède la
scène finale au cinéma de Soshanna. La
séquence se
décompose en trois parties :
§
[50
secondes] gros plan de
piqûre au bras, souffrances
de B V H, le lieutenant Raine et ses hommes renversent et cassent le
mobilier
du cabinet du vétérinaire.
§
[30
secondes] pendant
qu’ils dialoguent, le lieutenant
Raine enfonce son index dans la blessure que présente la
jambe de B V H.
§
[3
minutes 30] le doigt
retiré de la plaie, la
blessure est oubliée et les protagonistes
échafaudent leur plan (plus de geste
médical, aucune souffrance n’est
manifestée par B V M).
5.3.2.
Une
simple scène de
transition... d’une perversion
remarquable
« Les
perversions sadiques se caractérisent par le fait que la
jouissance dans la
souffrance ou la douleur passe par le corps, le toucher, le contact.
Elles
apparaissent comme des expressions typiques de la pulsion
d’emprise. Un lieu du
corps y est particulièrement investi, l’anus, qui
joue le rôle de lieu de
référence dans la mesure où il est
sexuellement indifférencié[103] ».
Nul
doute possible, il s’agit bel et bien d’une
scène de viol et de torture qui
vise, pour le lieutenant Raine, à connaître les
raisons de la mort de ses
hommes. Tarantino soigne ses effets spéciaux et ses
éclairages pour nous
permettre d’être au plus près de cet
acte transgressif et inhumain. Comment ne
pas ne voir également que la torture est
appliquée à un corps de femme, et que
le doigt de l’homme va s’introduire dans un orifice
que présente le corps
féminin, en provoquant chez elle de terribles souffrances
(gageons que cette
séquence doit s’avérer doublement
éprouvante pour le public féminin du film)...
Tarantino
revendique l'originalité de sa trouvaille
scénaristique : "A l'origine,
Aldo Raine ne mettait pas son doigt dans la plaie de Bridget Von
Hammersmark,
il se contentait de l'interroger. Au moment du tournage, tandis que
nous
répétions, Brad Pitt s'est mis à
tordre le bandage autour de la jambe de Diane
Kruger qui empêchait l'hémorragie. Je lui ai alors
suggéré, à son grand émoi,
d'enfoncer le doigt dans le trou provoqué par la balle[104]".
Mais
Tarantino, qui connaît les limites à ne pas
dépasser pour que tout cela reste
un « divertissement consensuel »,
laisse à ses spectateurs assez de
temps en « conversation
apaisée » pour calmer les dommages
causés par
la violence de ces images.
5.3.3.
Des tortures dans
un monde où l’amour est condamné
L’amour de Marius et de
Shosanna s’achèvera dans la mort.
Un insert nous donnera à voir une relation sexuelle
« primitive » et
« archaïque » entre
Goebbels et sa maîtresse.
Le colonel Landa nous proposera une belle
séquence de fétichisme du pied, avant de
« s’accoupler » avec
l’actrice Bridgett Von Hammersmark, dans une
« union » factice qui se
transformera en véritable meurtre. Au final, c’est
bien dans un climat de mort,
de torture et de souffrance que baigne le film.
Oui, notre
société mondialisée est violente. Le
capitalisme (qui n’a plus d’idéologie
à combattre depuis plus de vingt ans)
vient de connaître une crise financière,
économique et sociale d’une telle
ampleur que des régions (Californie), des pays occidentaux
(Islande, et dans
une moindre mesure Grèce, Espagne, Portugal, Irlande)
connaissent des
difficultés inédites qui font basculer des pans
entiers de leurs populations
dans la précarité ou l’exclusion. Dans
ce contexte inédit, dans ce monde que
l’Humanité découvre, quelle pourrait
être la fonction politique de ce film de Tarantino ?
6.
Tarantino,
cinéaste engagé ?
6.1.
Tarantino
qui
n’appartient ni au camp des
« faucons » ni à celui
des
Conservateurs ; il ne vend pas la marque
« Amérique » au monde.
Tarantino,
par sa sincérité, son enthousiasme, sa
vitalité, sa cordialité suscite rapidement
la sympathie. Politiquement, Tarantino est
« ailleurs »
(« J’ai
grandi en croyant que tout ce qu’on vous racontait
n’était que mensonge, que le
président était un rigolo. J’entendais
mes parents dire que les poulets
n’avaient qu’à aller se faire
foutre »[105]).
Mais
s’il est ambitieux, son idéal n’est pas
dans l’Amérique profonde, conservatrice
et puritaine (« Etant gamin, je
m’imaginais devenir le Bob Dylan du
cinéma. Je souhaitais devenir plus qu’un simple
réalisateur de pubs, je voulais
être reconnu par les cinéphiles[106] »).
Personnage
ambivalent (double du cinéaste ?) le lieutenant Raine est,
malgré ses pulsions
sadiques, un progressiste; Tarantino le décrit comme "un
homme du Sud qui
s'est battu chez lui contre le racisme et contre le lynchage. C'est
pour cela
qu'il porte une corde autour du cou, mais ce n'est pas
expliqué dans le film[107]".
Tarantino
n’a pas soutenu la politique du Président Bush
(difficile de l’imaginer
facilitant un rapprochement entre Hollywood et le
Pentagone !), mais il
n’apprécie pas outre mesure les
Démocrates. Incontestablement, ses films
donnent une image plaisante des minorités ethniques (les
racistes se situent
clairement dans "l'autre camp" - les studios ? - puisque le
personnage de Goebbels n'hésite pas à
déclarer : "Seule la descendance des
esclaves permet à l'Amérique d'être
compétitive sur le plan sportif. L'or
olympique américain se mesure à la sueur
nègre"), des groupes et
sensibilités que l’Amérique
conservatrice tend à marginaliser. Le personnage de
Goebbels propose de "prendre des nus grecs au Louvre pour
décorer le foyer
du cinéma", ce qui permet au spectateur de comprendre
combien la culture
classique est connotée de manière
négative (le vrai Goebbels quant à lui aurait
sans doute souhaité sélectionner des
œuvres caractéristiques de l’art
« typiquement allemand, comme les
créations de l’architecte Albert Speer,
ou les sculptures d’Arno Breker [108]»).
Si
contestation du système capitaliste il y a, c’est
bien à la marge, sans volonté
explicite de s’y opposer. Tarantino pratique un
cinéma ouvert sur le monde
entier, qui accueille toutes les influences (fait rarissime, la version
originale de "Inglourious Basterds" est parlée en trois
langues –
anglais, français et allemand, ce qui oblige les spectateurs
US à lire des sous-titres,
ce qu'ils ne font presque jamais, les films étant
systématiquement doublés ou
tournés à nouveau, avec de nouveaux acteurs
américains et un scénario modifié[109]).
Alors
que « les producteurs de Hollywood
hésitent avant d’engager un acteur noir
ou de tourner une histoire trop américaine, trop ethnique,
alors qu’ils
privilégient les histoires qui exaltent des sentiments
universels [110]»,
le cinéma de Tarantino est réellement un
cinéma « des
copains », du
« politiquement incorrect », du
« profite de l’instant présent
sans te poser de questions » (en cela il suscite
l’adhésion à ses films
d’un grand nombre de spectateurs
« progressistes »), mais
c’est aussi
certainement, pour une opinion publique en perte de repères,
un cinéma de
l’ambiguïté et du malentendu.
6.2.
Tarantino
facilite (indirectement) le combat politique de Michael Moore contre la
politique du Président Georges W. Bush.
En
2004, Michael Moore réalise le film
« Fahrenheit 9/11 », un
véritable
brûlot anti-Bush, dans le but d’influer sur
l’élection présidentielle de 2004.
Il dénonce notamment, dans ce film de
« combat »,
l’administration
Bush, les liaisons entre la famille Bush et la famille saoudienne de
Ben Laden
et présente l’Irak comme un havre de paix avant
les bombardements américains de
mars 2003. Incontestablement, Michael Moore est un cinéaste
engagé sur des
valeurs anti-capitalistes (véritable "auteur", on peut
suivre ses
thèmes de prédilection à travers ses
différentes œuvres); il déclare
à Cannes :
"J'ai toujours été un adepte des faiblesses du
capitalisme. Et sa plus
grosse faiblesse est qu'il nous vend la corde qui servira à
le pendre !".
Moore prend des risques : il veut, d'une certaine manière,
"éduquer"
le spectateur à le lecture des images, il entend
gêner, perturber, contrecarrer
les effets de la propagande menée par les conservateurs
à travers leurs médias.
Le
film de Moore, nous l’avons déjà dit,
est produit par Miramax, une filiale
autonome de Walt Disney Company dont le patron Harvey Weinstein,
fervent
supporter du Parti démocrate, produit également
Quentin Tarantino. Curieux
« hasard »,
« Fahrenheit 9/11 » a obtenu la
Palme d’Or à
Cannes en 2004 : le jury était
présidé cette année-là par
Quentin
Tarantino... Après avoir reçu la Palme
d’Or, Miramax obtient l’autorisation de
sa maison mère (Disney) pour distribuer le film qui est
présenté dans plus de
800 salles à travers les États-Unis[111].
Avec plus de 23 millions de dollars de recettes, ce documentaire
engagé,
militant, est aussi un grand succès commercial.
6.3.
Est-il
suffisant
de s’appuyer sur la culture populaire et de pratiquer la
dérision pour dénoncer
les méfaits de
l’ultralibéralisme ?
6.3.1.
Pas
de crise du cinéma
pendant les périodes de crise
sociale
En
période de crise, le cinéma autorise une certaine
« déconnection »
avec les réalités sociales trop douloureuses. Les
années 30, marquées par la
crise majeure traversée par le capitalisme en octobre 1929,
ont connu une
abondance de films « de
monstres » (Frankenstein, Dracula) et de
comédies musicales.
L’ultralibéralisme
économique qui a caractérisé la
politique nord-américaine et européenne depuis
quelques années a provoqué une crise
financière, économique et sociale d’une
même ampleur. La dette des Etats et des particuliers atteint
des proportions
inquiétantes, le chômage et la
désespérance sociale s’installent
durablement.
Pour masquer cette faillite idéologique, certains
états lancent leur pays dans
une lutte de tous les instants contre
« l’Axe du Mal » (Irak,
Iran,
Corée du Nord), tandis que d’autres traquent
« l’ennemi
intérieur »,
ferment destructeur qui corrompt – caché
derrière un voile intégral - la
sublime « identité
nationale ».
Rappelons
ici que le « Mur de Berlin » est
tombé depuis vingt ans, et que le
Communisme n’est pour rien dans cette
débâcle, dans ce désastre :
c’est
bien la diminution drastique de l’Etat, et la
Liberté accordée aux grands
groupes (et à leurs dirigeants) d’accumuler le
maximum de profits qui inquiète
maintenant jusqu’aux classes moyennes, en voie de
déclassement.
Incontestablement,
avec tous ses défauts et ses approximations, Michael Moore
est un cinéaste
engagé ; il lutte à sa
manière contre un capitalisme prédateur et
aveugle.
Le militantisme politique de Quentin Tarantino se limite à
accompagner, quand
le hasard lui en donne l’occasion, les
intérêts de ses amis démocrates (cela
n’en fait pas pour autant un cinéaste
« progressiste »...).
Car,
paradoxalement, les films de Tarantino, basés sur la lutte
(jusqu’à la mort),
la victoire (par tous les moyens, y compris la torture), le
désenchantement (on
n’y trouve pas d’amour heureux), l’oubli
de l’Histoire (les nazis victimes des
Juifs qui les scalpent), les films de Tarantino donc
s’intègrent parfaitement à
une vision marchande de la société. Tarantino est
incontestablement un auteur
« populaire »,
(« il a le cinéma dans la peau [112]»)
qui
apprécie et valorise une culture marginale, non
académique. Mais cette culture
n’est pas au service d’un projet. Là
où Michael Moore tente
« d’éduquer »
son public, de lui ouvrir les yeux sur les techniques
de propagande qui le conduisent, malgré lui, à
persévérer dans une idéologie
destructrice et mensongère, Tarantino se contente de monter
les marches du
Palais des festival de Cannes en esquissant quelques pas de rock, et de
compléter le programme du studio de
« Canal + » qui couvre la
manifestation, en fondant sa prestation, avec humour, entre la miss
météo de la
chaîne et l’inévitable
séquence de publicités.
6.3.2.
Contestation
ou
conformisme : quel est le rôle de
l’Art dans une société basée
sur la consommation, la publicité et le conditionnement
des esprits.
Plus
décalé, moins conformiste, plus
« roublard » que ses
collègues
réalisateurs employés par les grands studios,
Quentin Tarantino se contente
d’espérer que ses films, en réveillant
les pulsions les plus archaïques des
spectateurs, vont lui permettre d’accéder
à la reconnaissance et lui donner une
aisance financière certaine ;
l’habileté avec laquelle il sait canaliser
et synchroniser les émotions de ses spectateurs joue,
qu’il en soit conscient
ou non, un rôle bien politique ("Au-delà de la
culture savante et noble
s'impose la culture élargie du capitalisme, de
l'individualisme et de la techno
science. Cette nouvelle culture globalitaire structure d'une
façon radicalement
nouvelle le rapport de l'homme à soi et au monde[113]").
Les
« montées
d’adrénaline »
qu’entraînent ses films constituent, durant
quelques heures, un possible dérivatif à un
environnement idéologique bien
terne et triste, malgré (ou à cause) de son
glamour et de ses paillettes.
Quentin Tarantino, un des rouages du nouveau contrôle social,
participe – en
gérant de main de maître les flux
émotionnels - à maintenir intacte la
structure de nos sociétés ; il
n’a en rien amélioré notre regard sur
le
Monde, il ne nous a nullement incité à envisager
une société plus tolérante, plus
digne et plus respectueuse... Rien, dans ses films,
n’empêche le Capitalisme
(pourtant en pleine crise de légitimité) de
continuer à privatiser les profits
et à nationaliser les pertes...
CONCLUSION :
« Inglourius Basterds », une
œuvre
cinématographique « cocasse, festive,
haletante[114] »
ou un produit marketing ambigu, formaté, et
cynique ?
Que
diront les encyclopédies consacrées au
cinéma dans quelques années ?
Classera-t-on Quentin Tarantino au même niveau que John Ford,
Ingmar Bergman,
Jean Renoir ou Federico Fellini pour l’ensemble de son
œuvre ? A l’heure
actuelle, nous n’avons aucune certitude... Il nous faut
attendre le jugement de
la postérité. Laissons lui le temps de prendre du
recul sur l’actualité, sur
les modes, sur l’écume des
évènements (« Seul ce qui dure
à travers les
siècles peut finalement revendiquer
d’être un objet culturel [115]»).
Tarantino
participe à une nouvelle culture (branchée,
réactive, immédiate) qui
paradoxalement dispense de lire, de réfléchir,
d'analyser. L’accueil réservé (dans
son immense majorité) par la critique à ce film
révèle un malaise profond
concernant les valeurs fondatrices de notre Humanité. Car,
malgré les
apparences et en dépit de toutes les tentatives de
légitimation de la part de
la critique, il est probable que la Shoah, le massacre
systématique contre les
Juifs auquel se sont livrés les nazis durant la
dernière guerre mondiale ne
soit, au final, qu’une bien lointaine
préoccupation pour l’ambitieux Tarantino
(et donc pour ses spectateurs)... Tarantino,
répétons-le, se moque de la
vérité
historique (« Le scénario de mon film est
devenu une uchronie, digne des
films de science-fiction. Certains de mes amis m’ont
même charrié en me
disant que ce que j’avais écrit pourrait
très bien être un épisode de Star
Trek [116]»).
Ce
« mauvais garçon
ironique », ce « rebelle
talentueux »
serait-il en train de devenir notre nouveau
« modèle », notre
référence dans l’esthétique
cinématographique d’aujourd’hui ? Devant
nos yeux
émerveillés, les séries "Z", les films
de kung-fu et les westerns-spaghettis
sont en train de remplacer Eisenstein, Chaplin et Renoir. Tarantino est
un des
réalisateurs que le public jeune et
« cool » (celui-là
même qui
investit massivement les réseaux sociaux sur Internet)
plébiscite. Nul doute
que ses prochaines œuvres lui donneront encore
l’occasion de nous séduire par
de nouvelles transgressions inventives, de nous horrifier (avec
humour !)
en faisant exploser les têtes de nombreux
« méchants » sur nos
écrans ! Tout cela avec une parfaite
maîtrise des techniques et des codes
cinématographiques.
Un
"adolescent attardé", un "sale gosse" qui expose ses
pulsions les plus archaïques est reconnu aujourd’hui
comme un cinéaste
majeur ! C’est le signe incontestable de la victoire
d’un cinéma scabreux,
fascinant, parfaitement indolore pour les valeurs du
Libéralisme, qui ne
s’adresse plus à l’intelligence ou
à la sensibilité des spectateurs (de plus en
plus flexibles, modelables... et démobilisés[117]),
mais à leur moelle épinière !
Qu’importe la Culture, qu’importe le Patrimoine,
qu’importe la vérité historique si le
récit qui m’est raconté est vraiment
« déjanté »,
s’il marie les styles, les références !
Non, il n'est
hélas pas possible de partager l'opinion de Jean-Marc
Lalanne : "Tarantino
cherche dans les franges les moins fréquentées du
cinéma une possibilité
d'abolir les hiérarchies (entre culture haute et culture
populaire) qui puisse
faire du bien au monde[118]".
Certes,
Tarantino est parvenu à fédérer des
publics au départ dissemblables (les
adultes férus de cinéphilie et les jeunes en
recherche de frissons
transgressifs). Certes, Tarantino possède
d'évidentes qualités de metteur en
scène ("Les partis pris narratifs et visuels de ses films
reposent sur un
extraordinaire brio scénaristique et un sens aigu du
dialogue; ce sont des
films extrêmement bien pensés et
réalisés[119]"),
mais il est fort éloigné de tout projet humaniste
! Peut-être
« Inglourious Basterds » est-il
au cinéma ce que la
télé-réalité
(« Fear factor »,
« La ferme des
célébrités »,
« L’île
de la tentation ») et les productions
Endémol sont au petit
écran ?... Mais l’Art, d’une
certaine manière, résiste à
l’évaluation. Il
convient donc humblement d’accepter l’existence des
chefs d’œuvre, et des
« séries B ».
Ce
n’est un paradoxe qu’en apparence : dans
notre « village
global » où les marchés
dérivés – transparents - apportent la
richesse, où
« travailler plus permet de gagner
plus », où la croissance et la
consommation sont de retour, où le chômage ne sera
plus bientôt qu’un mauvais
souvenir, où la
« Rollex » acquise à
cinquante ans prouve que l’on a
réussi sa vie, dans cette
société-là, le cinéma de
Tarantino a toute sa
place...
Ce
contestataire aseptisé sait capter le temps de cerveau
disponible des
« geeks[120] »
et des adultes
restés jeunes pour leur éviter de
s’intéresser de plus près au
fonctionnement
du monde. Tandis que, dans les pays riches, des millions de
chômeurs et
d’exclus sont marginalisés dans le meilleur des
mondes capitalistes possibles
(sans évoquer les 800 millions d’êtres
humains qui souffrent de la faim
ailleurs dans le monde), il nous reste à laisser la vie
démocratique s’étioler
dans la plus parfaite apathie, à attendre sagement la
prochaine crise majeure
de la finance et le prochain film de Tarantino, qui nous apportera une
nouvelle
fois, pendant deux heures, sadisme, transgressions et oubli...
Tarantino,
malgré les apparences trompeuses, n’est pas un
« magicien du cinéma[121] »,
mais plutôt l’allié inattendu et
efficace du capitalisme actionnarial !
Poser
la question du fonctionnement du cinéma, c’est
aussi s’interroger sur « le
façonnage du spectateur, la manière dont le
cinéaste, à partir de la
représentation filmique, induit des émotions,
influence le spectateur [122]».
Aussi convient-il de prendre « Inglourious
Basterds » très au
sérieux, car il nous parle, à sa
manière, du « vivre
ensemble », du
destin des Hommes et de l’organisation de la vie dans la
Cité. Pour cela (et d’autant
plus qu’il se présente comme une pure forme
ludique, sans
enjeu, « moderne ») il est
temps de considérer que « Inglourious
Basterds » est avant tout un
film éminemment... politique !
Gérard
Hernandez
Lauréat
de la certification
« Cinéma-Audiovisuel »
Article
rédigé avec la documentation de
l’espace « Images
Histoire »
de
la Médiathèque Jacques Ellul de Pessac (33).
Avril 2010.
ANNEXES
I
Des clins d’œil cinéphiliques,
nombreux et érudits !...
Cinéma
allemand et italien
§
Emil
Jannings (1884 –
1950) assiste, dans l’histoire
qui nous est racontée, à la projection parisienne
du film de propagande réalisé
par Goebbels. Cet acteur allemand est une vedette incontournable du
cinéma
européen, particulièrement marquant dans la
période du cinéma muet. Il reçoit
l’oscar du meilleur acteur à Hollywood en 1928.
Même s’il
n’adhéra jamais au parti nazi, il fut la vedette
de nombreux
films allemands durant cette période et il fut
nommé en 1941 par Joseph
Goebbels « Artiste
d’Etat ». Après la guerre, sa
carrière
cinématographique s’arrête.
§
Georg
Wilhelm Pabst (1885
– 1967) est cité trois fois
dans le film : 1°) Shosanna projette dans son
cinéma parisien un de ses
films (« L’enfer blanc de Piz
Palu » / 1929). 2°)
Ce cinéaste allemand est le personnage que
doit deviner Bridget von
Hammersmark dans le jeu des personnages à
découvrir que l’on pratique à la
table des officiers de la taverne « la
Louisiane ». 3°) L’officier
anglais prétend être né dans un village
au pied de cette montagne ; toute
sa famille apparaîtrait dans un plan du film de Pabst.
§
Lilian
Harvey (1906 –
1968) [Goebbels, visitant le
cinéma de Shosanna, « ne veut plus
entendre parler de Lilian
Harvey »]. « Elle est
née de père allemand et de mère
anglaise ;
sa voix et son visage charment le public allemand. Ses films les plus
célèbres
sont « Le chemin du paradis » et
« Le congrès s’amuse [123]».
§
Les
"Basterds" qui veulent se faire
passer
pour des italiens vont prendre l'identité de
réalisateurs italiens (Gorlomi,
Margherritti et Decoco) spécialisés dans les
films de série "B".
Cinéma
britannique
§
Pour
illustrer la
dangerosité des films nitrates (très
inflammables), le film propose un plan (un enfant qui transporte une
bobine de
film dans un bus urbain) extrait du film
« Sabotage »
réalisé en
Grande-Bretagne par Alfred Hitchcock en 1936.
Cinéma
français
§
Shosanna
s’apprête à faire périr
Hitler dans son
cinéma. Elle porte une magnifique robe rouge, et Marcel, son
ami noir, la
complimente : « Mais c’est
Danielle Darrieux ! » [Danielle
Darrieux : née en 1917, sa carrière est
une des plus longues de toute
l’histoire du cinéma ; elle poursuivra sa
carrière sous Vichy et tournera
pour la Continental, malgré les menaces de Londres.
« En Janvier 1943,
alors qu’elle effectue un séjour à
Megève avec d’autres vedettes – Fernand
Gravey, Corinne Luchaire et quelques autres -, le climat de luxe,
d’insouciance
et d’argent facile est tel que l’entourage du
Maréchal et les gendarmes
imposeront à ces vacanciers
privilégiés de boucler rapidement leurs valises
et
de quitter les Alpes [124]»].
§
Shosanna
rappelle au soldat
cinéphile allemand
Fredéric Zoller comment le cinéma
européen se différencie du système
hollywoodien des studios (en donnant au réalisateur la
paternité de l'œuvre) :
"Je suis française : nous respectons les
réalisateurs dans notre
pays".
§
Shosanna
a programmé
dans son cinéma « Le
corbeau" / Clouzot / 1943. Le hall du cinéma
propose aussi l’affiche
de «L’assassin habite au 21" / 1942 du
même Clouzot.
§
Le
général
anglais Ed Fenech : il s’agirait ici d’un
hommage à l’actrice franco-italienne Edwige
Fenech, dont personne n’a oublié
les prestations dans « La toubib du
régiment » / Luciano /1976 ou
« Lâche-moi les
jarretelles »/ Martino / 1977.
Cinéma
américain et mexicain
§
Aldo
Ray (le nom du personnage
interprété par Brad
Pitt) était un acteur américain (1926 –
1991) qui a joué de nombreux rôles de
soldats dans des films de guerre.
§
Yvette
Mimieux [Emmanuelle Mimieux
est le nouveau nom
de Shosanna, devenue gérante d’un
cinéma] est une comédienne américaine
– née
en 1939 - qui jouera notamment dans « Le dernier
train du Katanga ou The Mercenaries
ou Dark of the Sun /
Cardiff » en 1967, film ayant pour
vedette Rod Taylor (qui interprète Churchill dans le film de
Tarantino). Dans
le film de Cardiff, « elle était blonde
et s’échappait d’une cabane
où une
fusillade avait eu lieu [125]»
(ce qui rappelle la première scène du film de
Tarantino).
§
Hugo
Stiglitz
(né en 1940) est un
acteur, réalisateur, scénariste
et producteur de cinéma mexicain. Il a marqué les
années 70 et 80 en tournant
des classiques de l'horreur au Mexique. [Hugo Stiglitz est le nom du
personnage
psychopathe du film qui intègre le commando après
avoir assassiné de nombreux
officiers allemands].
§
Les
exploits guerriers du soldat
Zoller lui ont valu
d'être surnommé le "Sergent York" allemand. Il
s'agit du titre du
film réalisé en 1941 par Howard Hawks, et qui a
permis à Gary Cooper d'obtenir
l'Oscar du meilleur acteur.
II Anachronismes et
références
Anachronismes
et références aux USA
§
Le
colonel Landa, dans les termes
de sa reddition,
réclame qu'on lui donne une propriété
située sur l’île de Nantucket. Si cette
destination attire bien aujourd’hui les riches habitants du
Nord-Est des
Etats-Unis, ce n’était certainement pas encore un
lieu recherché en 1944...
§
Aldo
Raine prétend
descendre de Jim Bridger, un
« Mountain man », explorateur,
trappeur et guide de l'Ouest américain
pendant la période 1820-1840 (Les marques qu’il
porte au cou laissent penser
qu’il a peut-être survécu à
un lynchage).
§
La
taverne située dans
la ville de Nadine, près de
Paris, a pour nom « La
Louisiane ». C’est là que
doivent se
rencontrer les alliés (américains et anglais) qui
oeuvrent pour chasser les
nazis. [La Louisiane est l’état le plus
francophone des Etats-Unis].
Références
à
la culture allemande
Dans
la taverne « La Louisiane », les
soldats allemands jouent à
reconnaître un personnage mystère. Le soldat
allemand se demande si ce
personnage a une squaw pour femme, si Shatterhand est son
frère, et si Karl May
est son « père ». Le
soldat identifie le personnage mystère,
Winnetou, le chef des Apaches. [Karl May (1842 - 1912) est un des
auteurs de
romans d’aventures les plus aimé et les plus lu en
Allemagne ; il a publié
une trentaine de récits de l’Ouest –
récits qu’Hitler appréciait
particulièrement - centrés sur les personnages de
l’indien Winnetou et de
l’aventurier allemand Old Shatterhand].
Références
à la culture juive
Le
Golem : informé des exploits barbares du sergent
Stieglitz, Hitler entre
dans une grande colère, et refuse qu’on associe ce
soldat juif au golem.
« Selon certaines traditions juives, le golem serait
un être – le plus
souvent de forme humaine - fait d’argile et
créé par un pacte de magie grâce
à
la connaissance des dénominations sacrées. Pour
lui donner la vie, le mot Emet
(la Vérité) devait être
écrit sur le front du golem. Quand la première
lettre
(« alef ») était
effacée, ne demeurait que le mot
« met »
(mort) et le golem
s’anéantissait [126]».
Marquer un être d'un signe sur le front est donc une
référence parfaitement
identifiée par un public connaissant ou pratiquant la
religion juive. De la
même manière, les prénoms
hébreux semblent orienter le film vers un contexte
biblique (proche oriental ?).
§
La
famille
de Shosanna Dreyfus :
§
Shosanna :
prénom biblique signifiant à la fois lys et rose.
§
Amos
est le plus ancien des
« prophètes
écrivains » : Amos prend le
parti des pauvres au nom de Yahvé et condamne
l'appétit des riches, la mollesse du clergé, un
culte abondant, mais hypocrite
(Am., IV-VII). Il annonce les ténèbres, il dit la
fin d'Israël (Am., V et
VIII). Une atmosphère de mort se dégage de ses
oracles brefs et incisifs :
le « jour de Yahvé »
est imminent, il apporte la panique et la ruine,
parce qu'Israël n'a pas entendu la plainte de la veuve et de
l'orphelin et a
piétiné le droit des petits.»[127].
§
Jacob :
le double mariage
de Jacob avec Rachel et
Léa donna naissance à douze fils et fonda
véritablement le peuple d’Israël.
§
Miriam :
sœur de
Moise et d’Aaron, prophétesse.
III La seconde guerre mondiale
(1939 – 1945)
Quelques dates importantes de la
seconde guerre
mondiale
3/09/1939 :
la
Grande-Bretagne puis la France déclarent la guerre
à l’Allemagne.
22/06/1940 :
la France a
perdu la guerre. L’armistice est signé avec
l’Allemagne.
18/06/1940 :
Le Général
De Gaulle lance, depuis Londres un appel aux Français
22/06/1940 :
armistice
avec l’Allemagne (la France sera coupée en deux
zones)
22/06/1941 :
Plan
« Barbarossa » : Hitler
attaque l’URSS
07/12/1941 :
Le Japon
attaque Pearl Harbor : les Etats-Unis entrent en guerre.
31/01/1943 :
le général
soviétique Joukov gagne la bataille de Stalingrad
25/06/1943 :
Mussolini
est destitué et arrêté.
06/08/1943 :
les troupes
allemandes envahissent l’Italie et libèrent
Mussolini qui fonde, à Salo, une
« République
sociale », un satellite du IIIe
Reich.
06/06/1944 :
débarquement allié en Normandie
(opération Overlord)
28/04/1945 :
Mussolini
est fusillé par des partisans.
08/05/1945
capitulation sans
condition de l’Allemagne.
Hitler et le national-socialisme
« Dès
1933, la mise à l’écart de la
population juive est l’une des priorités de la
politique du régime hitlérien.
Quatre cent décrets anti-juifs sont
édictés : les Juifs sont
chassés de la
fonction publique, des professions libérales, de
l’armée et de la justice, des
métiers de la culture et de la presse. Les enfants juifs
doivent quitter les
écoles. Les lois de Nuremberg (en 1935)
« pour la protection du sang
et de l’honneur allemand », interdisent
les unions exogamiques et toute
relation sexuelle entre Juifs et non Juifs,
« génératrice de
souillure ». Se constitue parallèlement
un réseau de camps de
concentration destinés à accueillir
« les ennemis de
l’Etat ». Les
Juifs sont incités à quitter
l’Allemagne. Deux politiques
(ségrégation et
expulsions) sont menées de pair »[128].
20/01/1942 :
conférence
de Wannsee : Heydrich, chef des services de
sécurité hitlériens,
préconise
l’extermination des Juifs (traités de
« sous-hommes » qui devront
être déplacés dans les territoires de
l’Est.
Avril
1943 : après un
mois de combats acharnés, le ghetto juif de Varsovie est
écrasé par les
allemands (au total, 435 000 victimes).
20/07/1944 :
un attentat
à la bombe contre Hitler (préparé par
des officiers) échoue.
02/11/1944 :
fin des
gazages à Auschwitz-Birkenau : 1,5 millions de
juifs y ont été exterminés.
30/04/1945 :
Les troupes
soviétiques entrent dans Berlin. Hitler se donne la mort
01/05/1945 :
Goebbels,
Ministre de la Propagande, se donne la mort à Berlin.
02/05/1945 :
disparition
à Berlin de Martin Bormann, secrétaire
particulier de Hitler qui encouragea
l’extermination des Juifs et des Polonais.
1946 :
Le Maréchal
Goering, condamné à mort par le tribunal de
Nuremberg, réussit à s’empoisonner
dans sa prison.
Au
total, plus de quatre
millions de juifs sont morts dans les camps de concentration et
d’extermination.
Le régime de Vichy, la
collaboration et l’antisémitisme
10/07/1940 :
le Maréchal
Pétain fonde le nouvel Etat Français,
régime autoritaire et réactionnaire.
16/07/1940 :
les juifs
naturalisés sont déchus de la
nationalité française
03/11/1940 :
le Conseil
des Ministre (à l’initiative de Pétain
et devançant le désir des Allemands)
décide d’un « statut des
Juifs ». (« C’est par
un critère racial
qu’est défini le Juif : plus de deux
grands parents juifs ou pratiquant la
religion juive. Ceux qui tombent sous cette loi sont exclus de la
fonction
publique, de l’enseignement et voient leur accès
à l’Université ou aux professions
libérales limité par un numerus
clausus »[129]).
« Face à
cette entreprise d’extermination, les réactions de
la société française
paraissent faibles. Un mécontentement diffus, où
la crainte, la faim,
l’énervement entrent pour l’essentiel,
suffit à la majorité[130] ».
30/10/1940 :
Pétain
appelle les Français à la collaboration avec
l’occupant.
29/03/1941 :
création du
commissariat général aux questions juives
(promulgation d’un second statut des
juifs).
14/05/1941 :
la police
française livre 1 000 Juifs étrangers
aux allemands qui les déportent
aussitôt.
02/06/1941 :
un deuxième
« statut des Juifs » entre en
vigueur. Les entreprises juives sont
saisies et
« aryanisées ».
21/08/1941 :
5 000
juifs sont internés au camp de Drancy.
05/09/1941 :
ouverture à
Paris d’une exposition sur « le Juif et la
France »
12/12/1941 :
743
personnalités juives de nationalité
française sont arrêtées.
29/05/1942 :
dans la
zone occupée, les Juifs porteront
l’étoile jaune. On appose la mention
« juif » sur les cartes
d’identité.
16/07/1942 :
arrestation
par la police parisienne (9 000 policiers) de 13 000 Juifs
(rafle du
Vel’d’Hiv)
31/06/1944 :
dernier
convoi pour Auschwitz
« Dès
1940, un
antisémitisme purement français a pu se donner
libre cours[131] ».
Le gouvernement de l’Etat français (avec sa police
et sa gendarmerie) a participé
à la « solution
finale »
en déportant pendant la guerre quelques 76 000
Juifs (seuls 2 500
sont revenus).
« Mais
les trois-quarts de la communauté juive ont pu se sauver
à cause de l’attitude
de la population française. Choquée par les
rafles, comprenant que les familles
tombées aux mains des Allemands étaient
vouées à la mort, la population
s’efforça, par une solidarité
agissante, d’aider ceux que la mort
guettait »[132].
Après la guerre, des
châtiments attendus, des destins
inattendus
Au
cours du procès de Nuremberg, les principaux responsables du
régime hitlérien
sont condamnés à mort et
exécutés. Des responsables (Eichman, Barbie) de
la
déportation et de l’extermination des Juifs seront
poursuivis, extradés ou
kidnappés, jugés et condamnés. La
« guerre froide » permettra
à des
responsables nazis d’échapper à des
poursuites. Kurt Kiesinger, ancien membre
du Parti national-socialiste allemand, sera chancelier de la RFA entre
1967 et
1969. [Au cinéma, Orson Welles (« Le
criminel » /1946) et John
Schlesinger (« Marathon Man » /
1976) mettront en scène des
personnages de nazis cachés aux USA].
Egalement
remarquable, quoique non entaché par la gestion du
régime nazi, le destin de
Wernher von Braun, ingénieur, qui mit au point les V2, ces
fusées qui firent de
nombreuses victimes en Angleterre à partir de 1942. Il se
rend aux Américains
en 1945, et est aussitôt transféré
– avec une centaine de ses collaborateurs –
au Texas, où il recommence à perfectionner ses
nouvelles armes, au service
cette fois des USA. Il mettra au point la fusée Saturne V
qui permettra
d’envoyer un américain sur la lune en 1969.
IV Le cinéma et la
propagande en Allemagne, en France,
en Italie
Les nazis et la propagande
« Le
but de la propagande est d’obtenir,
en intervenant au niveau de l’inconscient, des
résultats d’action. Le cinéma
est un moyen de choix pour une propagande sociologique, de climat,
d’infiltration lente, de promotion progressive,
d’intégration dans une
orientation. La propagande sociologique (cinéma)
peut-être comparée au labour.
La propagande directe (meetings, manifestations) ressemble aux
semailles :
l’un ne va pas sans l’autre, il faut user de
l’un et de l’autre pour obtenir
une croyance active et mythique[133] ».
« La
propagande hitlérienne plonge ses racines dans les zones les
plus obscures de
l’inconscient collectif, en exaltant la pureté du
sang, les instincts
élémentaires de meurtre et de destruction, en
renouant (avec la croix gammée)
avec la plus ancienne mythologie solaire. Hitler et Goebbels, en ce
domaine, ne
laissaient rien au hasard. Presse, cinéma, radio
répétaient sans cesse la même
chose. La propagande constituait un écran sonore et visuel
permanent, qui, en
allant de l’enthousiasme à la haine, tenait le
peuple en haleine. Les nazis ont
fini par contrôler les grandes masses en faisant alterner la
terreur et
l’exaltation, deux des pôles fondamentaux de la vie
psychique [134]».
La
propagande nazie va s’appuyer sur les actualités,
sur des
« documentaires »
retraçant les grands moments du régime (le
Congrès
de Nuremberg[135]
ou les Jeux Olymiques[136]
de
1936, filmés par Leni Riefenstahl), des
« documentaires »
antisémites
(« Le péril juif ») ou
sur des films de fiction (antisémites, comme
« le Juif Süss » /
Harlan /1940, ou à la gloire du régime, comme
« Kolberg » / Harlan /
1945»).
« Le
Ministère du Reich à l’information et
à la propagande a été
créé en 1933 ;
il est confié à Joseph Goebbels, qui
contrôle de fait l’information et la
Culture. Les scénarios des films produits à cette
époque font la part belle à
l’héroïsme et au patriotisme, mais le
nationalisme et le patriotisme devaient
en être aussi les composantes essentielles. Les nazis, qui
tenaient le cinéma
d’une main de fer, devaient aussi tenir compte des lois du
marché et satisfaire
un public exigeant, en termes de qualité
cinématographique ; aussi, durant
cette période, on continua à réaliser
en Allemagne des opérettes, des
« Heimatfilme », des
viennoiseries en tous genres, des aventures
lointaines souvent teintées de colonialisme, des biographies
plus ou moins
académiques. La mise au point de l’Agfacolor (qui
arrive trois ans après le
Technicolor américain) participa à la
réussite de la diffusion de ces films
dans les pays occupés. La profession affirmait une grande
maîtrise technique
(photographie, décors, direction d’acteurs),
même si les Juifs et les opposants
au régime n’étaient plus là.
L’Allemagne, en dépit des difficultés,
réalisa
plus de 350 films pendant la guerre (75 films
réalisés en 1944). La production
(qui reposait auparavant sur les quatre géants :
l’U.F.A, la Terra, la
Tobis et la Bavaria) fut regroupée en 1942 au sein
d’un trust colossal,
l’U.F.I, qui contrôlait maintenant la production,
une grande partie des salles,
l’ensemble de la distribution et les installations techniques.
La
critique cinématographique disparut, remplacée
par des fonctionnaires aux
ordres du ministère de la Propagande. (...) A
l’arrivée du nazisme au pouvoir,
les Juifs et les opposants quittèrent l’Allemagne
pour les Etats-Unis, la
France, l’Angleterre et la Russie (Peter Lorre, William
Dieterle, Fritz Lang,
Max Öphuls, , Robert Siodmack, Billie Wilder et la
comédienne Lilian
Harvey [137]».
Le réalisateur Georges
Wilheim Pabst acceptera les propositions de Goebbels et tournera deux
films
sous le régime nazi.
Le régime de Vichy et la
propagande cinématographique
« La
propagande politique, sociale et morale de Vichy s’est
exercée dans des films
de reportage et de montage, mais aussi dans des fictions.
C’est ainsi que le
« documentaire de vulgarisation »
de 29 minutes Les corrupteurs
(1942) fut présenté au public, en
complément
de programme des Inconnus dans la maison d’Henri Decoin.
Ce « documentaire »
apportait sa contribution à « la chasse
aux Juifs ». Leur influence
néfaste dans le cinéma était
dénoncée par deux exemples frappants :
un
jeune homme devenait un criminel sous l’influence des films
de gangsters
« judéo-américains » ;
une jeune fille, rêvant de devenir une
vedette de cinéma, tombait sous la coupe de producteurs juifs et était
obligée de se prostituer. Dans une
troisième partie, des petits rentiers français
étaient grugés et ruinés par des
banquiers juifs. Un appel du maréchal Pétain pour
mettre en garde le peuple
français contre le péril juif terminait ce
film [138]».
« Le
premier objectif des nazis et de leurs collaborateurs, avec
l’assentiment de
Pétain, chef de l’Etat, était de
purifier l’écran français, de dissiper
une
fois pour toutes les miasmes de la « juiverie
internationale ». La
revue « Le Film » dans son
deuxième numéro (1940) avait publié le
texte de la loi portant statut des Juifs [139]».
« Bien
peu de films réalisés par les
cinéastes français entre 1940 et 1944
défendirent
l’esprit de collaboration, et bien peu défendirent
l’esprit de résistance... Il
y eut, plus ou moins conscients, de rares appels à la
révolte (« Lumière
d’été » de J.
Gémillon – 1942, le seul film des
années noires qui montra
que le salut peut venir des ouvriers). « Pontcarral,
colonel
d’empire » de J. Delannoy, peut passer
pour un authentique film de
résistance »[140].
Le cinéma italien
pendant la seconde guerre mondiale
« Le
régime fasciste de Mussolini va
tenter de développer un cinéma national, qui
subit une crise profonde.
Plusieurs mesures sont prises qui vont réveiller la
léthargie des studios
italiens : 1°) Droits fiscaux pénalisant
les films étrangers, 2°) création
à Venise (en 1932) d’un festival international, la
« Mostra », 3°)
création d’une direction nationale du
cinéma, 4°) construction aux portes de
Rome d’un complexe de 12 plateaux (unique en Europe),
Cinecittà (avec cet
outil, la production reprend : 87 films
réalisés en 1940, 120 films
réalisés en 1942). Certains cinéastes
(parmi lesquels Roberto Rossellini) vont
faire, dans le sillage des victoires de l’Axe, un
éloge des vertus militaires.
Mais, dans cette époque saturée de slogans
patriotiques, un cinéaste va montrer
l’envers du décor et réaliser un
chef-d’œuvre :
« Ossessionne »
/ Visconti /1942)[141] ».
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[6] Télérama
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[54]
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samouraï au Japon.
[55]
Biskind, Peter, opus
cité.
[56]
Le film, qui n’avait presque
rien coûté, rapporta 100 millions de dollars en
salle (et 30 millions
supplémentaires pour les droits Vidéo).
[57]
Son ami le cinéaste et
musicien Robert Rodriguez a écrit de la musique pour ce
film. Ce travail lui a
rapporté un dollar.
[58]
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[73] Biskind, Peter, opus
cité.
[74] Biskind, Peter, opus
cité.
[75] Biskind, Peter, opus cite.
[76]
Interdit à tout
spectateur de moins de 17 ans.
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Service de renseignement
américain créé en 1942
dont le but était, pendant la guerre, de collecter des
informations et de conduire
des actions clandestines.
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[86] Biskind, Peter, opus
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[87] Biskind, Peter, opus cite.
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sais-je ? n°1983,
1982.
[98]
Tarantino, manipulateur
pervers, savourait à l'avance l’angoisse de ses
spectateurs, assis dans une
salle de cinéma, et contemplant sur l'écran des
spectateurs brûlés vifs… dans
l'incendie d'un cinéma.
[99]
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[108]
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[109]
Le
film français "La totale" / Zidi / 1991, a
été adapté et tourné en
anglais aux USA : "True lies" / Cameron / 1994. Le film
français
"Trois hommes et un couffin" / Serreau / 1985 a
été adapté et tourné
en anglais aux USA : "Three men and a baby / Nimoy / 1987.
[110]
Kaspi, André, Les Etats-Unis
d’aujourd’hui, Plon, 1999.
[111]
En
recevant sa Palme d’or à Cannes, le
cinéaste Michael Moore faisait remarquer
avec humour que son film avait trouvé un distributeur en
Albanie, mais pas dans
les USA du Président Bush...
[112]
Kantcheff, Christophe, critique du film, Politis, 21/05/2009.
[113]
Lipovetsky, G, Serroy, J, "La culture-monde", Odile Jacob, 2008.
[114]
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[115]
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[116]
Delcroix, Olivier, entretien avec Quentin Tarantino, Le Figaro,
20/08/2009.
[117]
Lors du scrutin du 1ier tour des
élections régionales (Mars 2010),
le taux d’abstention a atteint les 53,6 %, un record sans
précédent pour un
scrutin régional. Par ailleurs le Front National a obtenu
avec 11,6 % des
suffrages exprimés, un
inquiétant
succès.
[118]
Lalanne, Jean-Marc, critique du film "Inglourious Basterds", Les
Inrockuptibles, n°716, 18/08/2009.
[119]
Tavernier,
Bertrand, "Amis américains – entretiens avec les
grands auteurs
d'Hollywood", Institut Lumière, Actes Sud, 2008.
[120]
Anglicisme désignant une personne passionnée,
parfois de manière extrême, par
un domaine précis (le cinéma par exemple).
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