XI, Le "bon sauvage" qui occulte l'apartheid (1983)
Retour sur "Les Dieux sont tombés sur la tête"
"L’Apartheid
met en place le
développement séparé des
différentes communautés (Blancs,
Métis, Indiens,
Noirs) tout en assurant la sécurité de la race
blanche et de la civilisation
chrétienne »
Daniel
Malan, Président du
Parti National Réunifié (HNP) et premier artisan
de l’apartheid en 1948.
Entre
1802 et 1950, la quasi-totalité des Blancs se situait sans
hésiter au sommet
d’une
échelle raciale hiérarchisée
Catherine
Coquery-Vidrovitch (« Le postulat de la
supériorité blanche et de
l’infériorité noire »[1])
"Les
Dieux…" repose sur des postulats racistes, mais il
appartient à cette frange mal définie du "racisme
inoffensif". Qui
sont les Dieux ? Les Blancs ! »
Peter
DAVIS, réalisateur anglais de documentaires[2]
1.
Générique
Botswana,
1980, 1H40.
Production
Cat Films Production – Réalisateur /
Scénariste : Jamie UYS – Musique John Boshoff
– Montage : Jamie UYS –
Int
:
N!Xau
(Xi), Marius Weyers
( Andrew
Stein), Sandra Prinsloo
( Kate
Thompson) – Nic de Jager ( Jack Hind) – Michael
Thys ( Mpudy), Loue Verwey (Sam
Boga), Jamie Uys (le révérend Henderson)
– Sortie du film en Afrique du Sud :
1980.
Sortie
à Paris :
19 janvier 1983 – Grand Prix du festival du film d'Humour de
Chamrousse en
1982.
2.
Résumés et
notices de présentation
2.1.
Résumé
"neutre » et majoritaire
"Une bouteille de Coca-cola
jetée d'un avion
sème la zizanie dans la tribu de Boshimans qui l'a
trouvé. Un des hommes, Xi,
décide de le rendre aux Dieux, s'empare de la bouteille pour
la jeter au bout
du monde. En chemin, il découvre la
société moderne"[3].
2.2.
Notice
plus précise : "Les Dieux…"
présenteraient un "coté
paternaliste"
"Sous le pavillon du Botswana,
c'est en réalité
un film d'Afrique du Sud qui est proposé au public, film
comique aux recettes
éprouvées par une longue tradition burlesque :
l'homme qui a peur des femmes,
les mécaniques récalcitrantes, le contraste entre
le bon sauvage et l'homme
civilisé… Indiscutablement, les gags sont bien
amenés et provoquent le rire. De
là, l'énorme succès de ce film.
Certains toutefois ont fait la fine bouche en
dénonçant le côté
paternaliste du film. Il fallait rappeler leurs
réserves"[4].
3.
Introduction
Sorti à Paris en Janvier
1983, "les Dieux…",
sans campagne publicitaire tapageuse, par le seul biais du "bouche
à
oreille", a réalisé, en terme
d'entrées, un résultat tout à fait
inattendu, dépassant 5,950 millions de spectateurs
(A titre de
comparaison, "E.T. L'Extraterrestre" de Spielberg atteindra les neuf
millions de spectateurs). Phénomène sociologique
certain, ce film ne restera
pas dans les Histoires du cinéma comme un
chef-d'œuvre du 7° Art…
L'accueil
réservé par le public et la critique
(Ginette Gervais dans Jeune Cinéma : "Un esprit
chagrin nous ferait
remarquer que c'est un film d'Afrikaner et qu'on peut y trouver des
relents de
racisme. En cherchant bien, on peut toujours tout trouver, mais en tous
cas,
pas d'Apartheid. Le film se place très nettement en dehors
de ces problèmes. Il
les ignore, et évite tout ce qui pourrait provoquer. Son
charme, c'est un vrai
film d'évasion. Pourquoi pas ?".) nous incite
à étudier plus
précisément la signification et le fonctionnement
dans la France de 1983 de ce
film "du Botswana".
A travers deux utilisations
pédagogiques récentes de
ce film, nous mettrons en avant la nécessité
fondamentale de pratiquer
l'analyse de films. Plus généralement, il
conviendra de poser le problème du
point de vue moral : l'œuvre cinématographique,
encensée par la critique, plébiscitée
par le public, peut-elle distiller un poison raciste, peut-elle
être une arme
de propagande au service d'une politique de discrimination tout
à fait
détestable ? La France, en 1983, garde-t-elle encore la
nostalgie du temps où
elle était une "République coloniale[5]"
?
Dans les faits, il faudra bien
attendre le 30 juin
1991 pour que Frederik de Klerk, le dernier chef
d’État et de gouvernement
afrikaner d’Afrique du Sud mette fin à la
politique d’apartheid. Ou – avec un
point de vue différent - les Noirs poursuivront leur lutte
(souvent réprimée
dans le sang, la souffrance et la mort) jusqu'à obtenir, en
1991, la fin du
système qui faisait d'eux une race
"différente", car "inférieure".
A l'heure de la Mondialisation
triomphante, alors
que l'Afrique du Sud revient au devant de l'actualité pour
des faits d'une
grande gravité[6],
ce
passé dramatique ne doit pas être
occulté, cette mémoire doit rester vivante.
Sans déformer les faits, il convient donner des
repères, de développer l'esprit
critique (Vaste chantier, car chacun sait que "les
sociétés n'aiment pas
se flageller…"[7]).
Définition
: Apartheid :
mot afrikaans
signifiant « vivre à
part ». Régime de
discrimination raciale appliqué de 1948
à 1991 en Afrique
du Sud, privant les Sud-africains noirs de tous leurs droits
civiques.
Etudions tout d'abord le film et son fonctionnement ("Notre propos sera
d'interroger le film en tant qu'il offre un ensemble de
représentations
renvoyant directement ou indirectement à la
société réelle où il
s'inscrit[8]").
4.
Les trois Afriques
La première partie du
film nous propose trois
visages de l'Afrique : les Bushmen au Botswana, Kate Thompson,
journaliste à
Johannesburg et les putschistes de Sam Boga, quelque part en Afrique
centrale
(Remarquons que le choix des éléments
proposés dans ces premières minutes fait
du Botswana un enjeu important, puisqu'il sert de liaison entre
l'Afrique du
Sud et le reste de l'Afrique noire).
La
technologie blanche – la bouteille de Coca-cola –
va bouleverser la vie des
Bushmen. Leur structure sociale, une sorte de communisme primitif
paradisiaque,
s'avère incapable d'intégrer cet apport
"étranger". Plus précisément,
cette structure permet de nombreuses utilisations, mais elle est trop
rare, et
personne dans la tribu n'a assez d'autorité pour
définir des modalités
d'utilisation qui permettraient une avancée
"bénéfique" à l'ensemble
du groupe.
Xi, le héros, va donc
débarrasser la tribu de ce
cadeau des Dieux dont l'utilisation rationnelle
nécessiterait l'émergence de
nouvelles valeurs telles que l'autorité ou l'idée
de propriété. Son périple va
lui permettre de rencontrer d'autres noirs et quelques blancs.
Dans le film, l'Afrique du Sud
récolte les fruits de
ses progrès technologiques et de sa stabilité.
Mais sa modernisation entraîne
des effets pervers : la mollesse s'installe (on prend sa voiture pour
poster
une lettre, la presse et l'opinion ne sont
intéressés que par la vie mondaine
des grands de ce monde).
Par
réaction contre cette démobilisation, cet
affadissement de la vie
sud-africaine, Kate Thompson quitte son poste de journaliste
à Johannesburg
pour devenir une institutrice (très paternaliste) dans un
village peuplé de
Noirs reconnaissants. Nous voici maintenant dans l'état
voisin indépendant du
Botswana.
Un élément
extérieur va venir troubler la quiétude
de l'Afrique australe : quelque part en Afrique centrale, un
gouvernement
composé de noirs est attaqué, sans aucune
explication, par des putschistes
noirs. La violence, soudaine, est totale. Des militaires vont
intervenir
immédiatement pour débusquer et poursuivre les
agresseurs.
L'Afrique noire se
résume en deux points :
instabilité politique chronique et violence sauvage.
Cette
violence, incompréhensible, dirigée par des non
Noirs (Sam Boca) on ne sait
trop au nom de quels intérêts, va
déferler sur le Botswana, menaçant l'Afrique
du Sud.
Après avoir
décrit les Bushmen, le film nous
présente d'autres habitants du Botswana : voici le
vétérinaire Andrew Steyn et
son aide le métis Mpudi, puis le
révérend blanc. Leur présence est tout
à fait
légitime, bénéfique pour ce pays
indépendant : le chercheur, bien qu'isolé,
contribue à la connaissance de l'environnement naturel (les
éléphants); le
révérend effectue la liaison entre le Botswana et
l'Afrique du Sud d'où vient
la nouvelle institutrice. Seul Jack, organisateur de safaris, travaille
pour
les blancs en employant des noirs.
5.
Mise en place des alliances
Loin de sa tribu, Xi, le
sympathique Bushmen, va se
montrer incapable de comprendre, et donc de maîtriser son
environnement (un
fusil n'est qu'un bâton, une chèvre ne peut
être qu'un gibier sauvage). Son
comportement va entraîner la mise en place d'une
répression violente (il est
blessé par balle), inhumaine (on le met en prison en sachant
bien que cet
enfermement pourrait lui être fatal). Cette
répression est dirigée par la
Police et la Justice légitimes du Botswana.
Ces mêmes
autorités, par ailleurs, sont bien
incapables d'arrêter Sam Boga et son commando qui peuvent
maintenant exercer
leurs méfaits directement contre la population du pays (les
enfants du village
et leur institutrice blanche sont pris en otage).
Qui peut sauver le Botswana de ses
tourments ?
Certainement pas Jack, le chasseur,
qui abandonne Xi
et Mpudi devant une lionne menaçante… Andrew
Steyn, le vétérinaire, a plus
d'atouts : il parle le dialecte des deux chasseurs
rencontrés dans la savane,
il connaît le comportement du rhinocéros. Mais
surtout, il va prendre (contre
la justice locale), la défense du malheureux Bushmen
désadapté; il lui sauve la
vie, mieux, il l'adopte !
De son côté,
Kate, l'institutrice, a été
immédiatement intégrée dans le village
prospère et accueillant où elle doit
enseigner. La prise d'otage dont elle est victime marque
définitivement son
appartenance au village d'adoption et l'autorité qui est
désormais la sienne.
6.
Le retour de
"l'équilibre naturel"
L'enjeu est maintenant clair : il
s'agit de protéger
les "bons" noirs du Botswana (la population du village qui accepte de
collaborer avec les blancs d'Afrique du Sud), contre les
féroces
"guérilléros" de l'Afrique noire, qui n'ont comme
seul objectif que
la destruction et la violence, et d'abord contre leurs
frères de couleur.
Une
complicité efficace va s'établir entre les Blancs
(le vétérinaire), les Métis
(Mpudi) et les Noirs (Xi). L'alliance de la technologie blanche
(somnifère) et
des techniques de chasse des Bushmen va permettre la neutralisation des
preneurs d'otages.
Jack, le chasseur, (qui dirige la
police du Botswana
lors de l'évacuation des prisonniers) participera
à cette action; mais, trop
marqué par la défense des
intérêts personnels – il tente de
récupérer le
bénéfice de l'action d'Andrew Steyn -, il
disparaît du récit.
Xi a su faire le
« bon choix » : il
s’est mis au service du Blanc qui lui a sauvé la
vie ; il a bien gagné sa
place dans le « New Deal », la
nouvelle distribution des cartes, le
rééquilibrage proposé par les Blancs.
Par la suite, Xi, un "grand
enfant", peut parcourir un territoire désormais calme et
retourner dans sa
tribu, plus que jamais en marge du monde, isolée,
figée (un seul plan décrit
son retour, alors que la vie des Bushmen était
présentée pendant un quart
d’heure au début du film).
Un dernier acte doit
s’accomplir pour que le
Botswana vive désormais à l’abri des
conflits : le couple vétérinaire /
Métis est remplacé par le couple fondateur
– et hétérosexuel !
– Andrew /
Kate. La technologie blanche – ici les bols de
« Tuperware » - peut
faire une apparition bénéfique dans la vie
quotidienne du village. Toute
violence a désormais disparu.
Chez les Blancs,
l’équilibre est retrouvé puisque
les éléments marginaux ou en désaccord
avec l’évolution de la
société, occupent
maintenant un rôle d’avant-garde, vital pour
l’Afrique du Sud.
L'outil extraordinaire que
constitue l'Internet nous
permet d'accéder aujourd'hui à des outils
pédagogiques mis en ligne par des
enseignants pour leurs élèves. Ces outils, chacun
dans sa discipline, sont tout
à fait intéressants. Mais, hélas, ils
font l'impasse sur la réflexion qui
devrait être prioritaire (s'agissant de cinéma) :
l'analyse du film.
7.1.
"Les
Dieux… " illustration
d'un cours de Géographie[9]
Caroline JOUNEAU-SION, professeur
d'Histoire
géographie au collège Germinal de Raismes
(Académie de Lille), propose, en
2002, d'illustrer avec ce film une "introduction au cours de
Géographie de
Cinquième sur l'Afrique".
"Mon cours sur l’Afrique
commence par noter au
tableau toutes les idées, les images des
élèves à propos de
l’Afrique. Cela
donne en général une Afrique déserte
mais surpeuplée, souffrant de la
sécheresse, du Sida... Les Africains de
l’imaginaire de mes élèves sont (je
cite) "tristes, pauvres, malheureux, sales" etc... L’heure
suivante
commence donc par deux séquences de film...
Ce film de Jamie UYS (1981),
Afrique du Sud, est une
comédie (!) que nos élèves
n’ont pour la plupart jamais vue. Le film est
assez riches en scènes exploitables en classe (voir le
séquençage à
télécharger
en bas de page), mais j’ai choisi les deux
premières scènes pour commencer mon
cours".
Les élèves
vont devoir préciser, à travers les
images du film, les notions de "désert, pauvreté,
civilisation ["En outre la séquence
montre
une ville que rien ne différencie d’une
métropole de pays développé (eh non,
les Africains ne vivent pas tous dans des cases de boue et de
paille...)"
précise l'enseignante !] et colonisation".
Hélas, le mot
"apartheid" ne figure pas
dans ce (par ailleurs excellent) document
pédagogique…
7.2.
"Les
Dieux…" illustration
d'un cours de Philosophie sur le
thème "Nature et Culture"[10]
(…)"Les
dieux sont tombés sur la tête n'est pas
simplement une gentille comédie, c'est aussi une
manière assez drôle de
regarder la relation entre deux cultures, la culture occidentale et la
culture
des bushmans. Ce petit peuple vivait bien tranquille dans le
désert de
kala-hari quand une
bouteille de
coca-cola tombée d'un avion
va être le prétexte à une suite
d'événements dans lesquels les traits
caractéristiques des deux cultures vont s'affirmer. Bien
sûr, les traits sont
un peu forcés, caricaturaux, mais en même temps la
confrontation est pleine de
sens". . Ce que montre le film, c'est que ce sont au contraire les
occidentaux qui vont apprendre l'humanité auprès
des bushman. Ils sortent de leur
modèle sophistiqué pour devenir plus simples.
C'est en se plaçant à leur point
de vue que tout d'un coup, l'absurdité de la guerre nous
apparaît. Il y a dans
la joie de vivre des enfants une chaleur irrésistible, il y
a dans ces
relations simples empreintes d'amour naïf une grande
leçon pour nous autres
qui sommes tellement pétris de barrières
sociales, de convention, de rigidité,
de théorie sur ce que les hommes devraient être.
Il est assez passionnant de
faire une comparaison avec le portrait que Rousseau dresse de l'homme
naturel
dans Le Discours sur l'origine de
l'inégalité parmi les hommes. Bien
sûr
Rousseau s'égare en imaginant un homme purement "naturel".
Claude
Lévi-Strauss dirait que les bushman sont autant que nous
à l'état de la
culture. par contre, là où la critique porte
bien, c'est sur la comparaison
entre l'homme occidental et un peu resté proche de la
Nature".
Hélas,
le mot
"apartheid" ne figure pas dans cet article pédagogique (par
ailleurs
excellent) destiné à des
élèves de Terminale !
8.
Hypothèses de
fonctionnement du film dans l’Afrique du
Sud du début des années 80.
La
signification que nous venons de mettre en évidence permet
de bien situer la
fonction réelle de cette "comédie" dans la
société blanche de
l’Afrique du Sud. La contestation de l’Apartheid
(totalement évacué du film, mais
tellement présent) ne viendra pas de
l’intérieur du pays ; seules sont
à
craindre les interventions possibles du reste du continent
africain ; il
faut donc se protéger en multipliant les alliances
ponctuelles (y compris avec
les « gentils » Bushmen, dont la
survie tient du miracle permanent)
et en contrôlant
(« conseillers », implantation de
technologie) les
pays africains voisins de l’Afrique du Sud.
9.
Le
référent
explicite :
quelques généralités sur
l’Afrique du Sud et le Botswana en 1983
9.1. L'Afrique du Sud en 1983 : un Etat policier.[11]
9.1.1. Les Boers Afrikaners, un "peuple élu"
Les premiers habitants de l'Afrique
du Sud furent
des chasseurs-cueilleurs (Bochimans et Hottentots), puis vinrent les
Bantous.
Les pionniers hollandais (Boers) s'implantent dans l'Est, se heurtent
aux
anglais et aux Zoulous (milieu du XIX° siècle). Une
culture spécifique émerge,
fondée sur un dialecte issu du
Néerlandais : l’afrikaans, une
religion : le calvinisme, un territoire : les vastes
espaces du
Karoo, et surtout l’intime conviction d’appartenir
à un groupe privilégié
comparable à celui des Hébreux de la Bible, dans
le cadre d’une société encore
esclavagiste. Par des guerres coloniales cruelles, les colons Blancs
vont
s’accaparer les terres et réduire les Africains au
statut de main-d’œuvre
servile.
9.1.2. Des Blancs menacés par le "Swaartgevaar" (le péril noir) et le communisme
Le gouvernement nationaliste du
Boer Barry Herzog
fait reconnaître par l'Angleterre la souveraineté
de son pays en 1926. En 1961,
l'union sud-africaine se retire du Commonwealth, opposé au
système de
l'apartheid : c'est la proclamation de la République
d'Afrique du Sud. Avant
l'abolition de l'apartheid, la législation africaine
(guidée par la
"volonté divine" !) identifie quatre groupes ethniques parmi
lesquels
les Noirs ou africains indigènes (70% de la population), les
Blancs (16% de la
population), les Métis (10%) et les Indiens (3%). Dans les
années 70, l'Afrique
du Sud est un pays économiquement puissant et militairement
fort.
Le régime d'apartheid
qui argumente sur le plan
diplomatique sur la base de sa mission de défense des
valeurs occidentales en
Afrique et de bastion contre le communisme athée, engage une
déstabilisation
extérieure de ses voisins (avec le soutien du bloc
occidental) pour contrer la
progression des régimes marxistes en Afrique, soutenus pas
Cuba, la Chine ou
l'Union soviétique (principalement l'Angola et le Mozambique
à partir de 1975).
"La
République d'Afrique du Sud est basée sur la
croyance en la nécessité de
préserver la pureté biologique de la race
blanche. A partir des années 30, se
met en place une philosophie politique autoritaire, exclusive et
agressive,
directement inspirée du nazisme. Officiellement, on
n'affirme plus que les
autres races sont
« inférieures », on
insiste seulement sur les
différences de civilisation et sur les décalages
culturels. . « Le
problème fondamental est de préserver la race
blanche et la civilisation
occidentale », déclarait en 1956 le
Premier ministre Strijdhom. Cette
formule explique au fond tout le système de l'apartheid"[12].
9.1.3.
La
sinistre politique de l’Apartheid : un
développement séparé des races
Les premières lois
ségrégatives sont édictées
en
1913. Elles sont aggravées en 1921 par l'autorisation de
payer un ouvrier noir
jusqu'à dix fois moins qu'un Blanc.
1948 : Le Parti National instaure
la politique du
"développement séparé" ou apartheid.
1949 : Loi de prohibition des
mariages mixtes
1950 : La loi Herzog de 1927,
prohibant tout rapport
sexuel entre Blancs et Noirs est appliquée aux Indiens et
aux Métis.
1950 : Loi d'habitation
séparée (le Group Areas
Act), répartit racialement les zones urbaines d'habitation;
la population doit
résider dans des zones distinctes en fonction de la couleur
de sa peau (18
millions d'arrestations, 3,5 millions de personnes
déplacées).
Reservation Amenities Act :
prévoyait une stricte
séparation dans les lieux publics et les services.
L'accès aux moyens de
transport, aux salles de spectacle, aux restaurants, aux bancs publics,
aux
toilettes fut désormais réglementé par
les sinistres panneaux
"Blancs"/ "Non-Blancs"
1952 : le Nativ Act impose aux
Noirs de 16 ans et
plus de porter sur eux un laissez-passer contenant leurs
pièces d'identité avec
certificat de l'origine tribale.
1953 : le Bantu Labour act interdit
aux Africains de
faire grève et de se syndiquer.
Avec l'apartheid, le rattachement
territorial (puis
la nationalité) et le statut social dépendaient
du statut racial de l'individu.
L'apartheid se distinguait en 2 catégories :
Le petty apartheid
ou apartheid mesquin qui
protégeait l'intimité des Blancs dans leur vie
quotidienne en limitant leur
rapport avec les non-blancs,
Le grand apartheid
concernant la division
spatiale du pays imposant des zones de résidence
géographiquement séparées et
racialement déterminées. Ce grand apartheid fut
accompagné de mesures de
déplacements et de regroupement des populations noires dans
des foyers
nationaux appelés bantoustans.
9.1.4. Les combats contre l'apartheid
L’African
National Congress (Congrès
national africain) est fondée par
les Bantous afin de s’opposer aux nombreuses discriminations
raciales du
gouvernement blanc. Ouverte à tous, y compris aux Blancs,
l’ANC
est une organisation
non-violente qui va progressivement prendre de l’importance
parmi les
populations non-blanches au cours de l’apartheid.
Au lendemain du massacre de
Sharpeville en 1960 (une
manifestation contre le passeport pour les Noirs est sauvagement
réprimée par
la police – 60 morts), l'ANC est interdite, et Nelson
Mandela, son chef
historique, organise la lutte. Il sera arrêté en
1962, et condamné à la prison
à vie en 1964. En 1968, Le Comité international
olympique (CIO) exclut
l'Afrique du Sud des Jeux Olympiques de Mexico
pour dénoncer la politique de l'Apartheid.
En 1973,
l’ONU qualifie
l’apartheid de « crime contre
l’Humanité ».
De violentes émeutes ont
lieu en 1976 à Soweto et
dans d'autres townships provoquant la mort de 400 personnes. Sous la
pression
de cette opposition active, les gouvernements de Peter Botha
légalisent les
syndicats noirs en 1979.
9.2.
La
République du Botswana (ex Bechuanaland) en
1983[13]
9.2.1. Un pays du Tiers-Monde, enclavé, pauvre et sous-développé.
"Les Bushmen furent les premiers
occupants de
ce territoire dont la capitale actuelle est Gaborone (qui ne
dépasse pas 30 000
habitants). Le Botswana est frontalier avec l'Afrique du Sud au sud et
sud-est,
la Namibie à l'ouest, la Zambie au nord et le Zimbabwe au
nord-est. Ignoré du
monde, perdu au cœur de l'Afrique australe, soumis
à un climat aride, le
Botswana (légèrement plus grand que la France)
possède un atout important : ses
richesses minières (diamant, cuivre, nickel). Son
agriculture est embryonnaire
et son industrie à l'état d'ébauche.
Sa population est d'environ 700 000
habitants. En 1966, lors de son indépendance, le Botswana
est l'un des vingt-cinq
pays du monde les plus pauvres. Le Botswana appartient (jusqu'en 1976)
à la
zone monétaire sud-africaine; ses deux partenaires
commerciaux sont l'Afrique
du Sud (60% de l'économie du Botswana est entre les mains de
Prétoria) et le
Royaume-Uni. Un travailleur sur cinq travaille en Afrique du Sud. Il
n'existe
aucune ville digne de ce nom; le pays est extrêmement pauvre
en moyens de
communication (l'unique chemin de fer qui traverse le pays est
propriété du
gouvernement rhodésien). On compte 1 médecin pour
27 000 habitants".
En 1983, la production
cinématographique du Botswana
est inexistante… ("A supposer qu'on trouve les moyens de le
financer, un
film africain est impossible à amortir sur le
marché national. Réaliser un film
de fiction long métrage en Afrique et vouloir qu'il
participe en des termes
esthétiques valables d'une vision personnelle du monde ou
poser des problèmes
de société – ou de culture –
est une gageure[14]).
9.2.2. Les Bushmen
Il subsiste environ 25 000 Bushmen,
vivant
uniquement de la cueillette et de la chasse dans les régions
les plus désolées.
Longtemps pourchassés par les Bantous et par les Blancs, ils
sont en voie
d'extinction. Abandonnés à leur sort
misérable, ils nomadisent par petits
groupes à la poursuite des troupeaux d'antilopes. Les
Bushmen subissent la
discrimination et l'ostracisation de la société
Tswana malgré un programme de
sédentarisation lancé par le gouvernement.
Relogés dans des camps misérables ou
bien vivant dans les ranchs dans lesquels ils travaillent, les bushmen
sont
rejetés et marginalisés à l'instar des
aborigènes d'Australie. Les bushmen se
nomment eux-mêmes "San".
9.2.3. Le Botswana, isolé du reste de l'Afrique, subit la puissance de l'Afrique du Sud.
Le Botswana occupe une position
stratégique
importante car il sert de tampon entre l'Afrique du Sud, la
Rhodésie et les
provinces africaines du Portugal.
Sans la fermeté des
Africains et le désir des
Britanniques de freiner l'impérialisme des Boers (notamment
en 1921 et en
1935), le Botswana ferait maintenant partie de l'Afrique du Sud. La
population
européenne (15000
individus) est très
faible. En 1966, le Botswana acquiert son indépendance au
sein du Commonwealth.
La seule route botswanienne vers le Nord de l'Afrique transite par la
Rhodésie…
En 1983, le Botswana vit dans une
relative sérénité,
en évitant à la fois de se compromettre avec
l'Afrique du Sud, et de se dresser
trop ouvertement contre elle. Mais, ayant déjà
servi de refuge aux adversaires
de Prétoria, il pourrait devenir, au début des
années quatre-vingt, un avant-poste
dans la lutte contre l'Apartheid (par exemple, pour les militants de
l'African
National Congres). Les dirigeants du Botswana condamnent sans
restrictions la
politique de l'apartheid.
10.
Les
Dieux… la suite
Le même Jamie Huys
réalisera en 1989 : "Les
Dieux sont encore tombés sur la tête", film que
verront environ deux
millions de spectateurs français.
"Cette fois ce n'est pas une
bouteille de
Coca-Cola qui tombe sur la tête de Xixo mais une avocate
new-yorkaise dont
l'ULM, pilote par un garde-chasse, s'est pris dans les branches d'un
baobab.
Tel est le point de départ d'une nouvelle aventure au pays
des
Boschimans".
11.
Jamie
UYS, cinéaste, le
cinéma afrikaner et
les films sur l'apartheid
Jacobus Johannes Uys dit Jamie Uys
(30 mai 1921 à
Bocksburg – 29 janvier 1996 à Johannesburg)
était un acteur, réalisateur et
scénariste d'Afrique du Sud, issu de la
communauté afrikaner. Il réalise son
premier film Daar doer in die bosveld (en
pleine brousse) en 1951
à partir de capitaux d'entreprises privées. Il
réalise 24 films tout au long de
sa carrière, principalement des comédies ou des
films animaliers. Il est
lui-même souvent interprète dans ses films. Le
film "Les dieux sont tombés
sur la tête" en 1980 le consacre au niveau international.
Uys est-il un cinéaste
engagé ?
""Mon objectif n'est pas le
message, c'est
le divertissement. Si je cherche à délivrer un
message, toutes les autres
potentialités du film se trouveraient
éliminées. Cependant, beaucoup de gens
croient trouver un message dans mes films ! Je suis
stupéfait en particulier de
ce que les universitaires réussissent à y lire.
Moi je fais des films
exclusivement pour distraire."[16]
Il réalise
également Funny People (Dieu me savonne,
1976), film de caméra caché (Un exemple
"d'humour" afrikaner ? Une
voix, portée par un haut-parleur, indique qu'une personne
est bloquée dans une…
boite aux lettres : un passant, Noir, tente de délivrer le
"prisonnier"…).
"Pendant
plus de 70 ans, la production nationale sud-africaine s’est
essentiellement
limitée à de grandes fresques historiques
consacrées aux Afrikaners. Le film
symbole de cette période est De Voortrekkers
(1916) retraçant l’histoire
du Grand Trek.
A quelques exceptions
près, ces films sont sans
grand intérêt. Les Afrikaners blancs souhaitaient
y voir représentés leurs
idéaux. Ce conservatisme idéaliste se
caractérisait par un attachement au
passé, à des idéaux de
pureté linguistique et raciale et à des valeurs
religieuses et morales. Les films devaient se conformer à
ces valeurs
conservatrices afin de connaître le succès
commercial. Ils tentaient rarement
d'analyser la psychologie culturelle nationale. En tant que tel, ce
cinéma
constituait un lieu clos, fait par des Afrikaners pour des Afrikaners,
où l'on
ne se souciait guère du potentiel qu'il
représentait pour s'exprimer de façon
significative sur la société sud-africaine
à l'intention d'un public
international.
On prenait soin d'éviter
un réalisme qui aurait
analysé la culture afrikaner de manière critique.
On avait, au contraire,
recours aux stéréotypes populaires où
l'Afrikaner était un aimable bavard dans
la tradition de la comédie, ou bien un être
tourmenté par des problèmes
sentimentaux qui n'avaient pas grand-chose à voir avec la
société, mais
relevaient plutôt des ficelles des mélodrames
occidentaux dans lesquels des
couples mal assortis finissent par trouver l'amour véritable
après avoir
surmonté nombre d'obstacles. Ces films ne se
préoccupaient ni des troubles
socio-politiques, ni de la réalité
vécue par les Sud-Africains noirs.
L'implantation de
cinémas noirs dans les zones
urbaines blanches était contraire à la politique
gouvernementale, car elle
aurait eu valeur de reconnaissance de la citoyenneté des
citadins noirs.
L'urbanisation des noirs était dépeinte de
façon uniformément négative, tandis
que la vie dans les bantoustans était
présentée comme plus appropriée. A
cette
époque, les publics noir et blanc étaient
traités différemment. Les publics
étaient séparés, chacun
étant doté de ses propres règles,
modes de
fonctionnement, films et cinémas. Tout film qui parvenait
à voir le jour et
reflétait d'une manière ou d'une autre
l'agitation de la société sud-africaine
était interdit par l'Etat ou ne
bénéficiait d'aucune distribution et ne pouvait
donc prétendre à aucun type de subvention. Le
cinéma bantou ne donna donc pas
naissance à un véritable cinéma
national : il ne s'agit que de quelques piètres
films paternalistes réalisés pour le public noir
principalement par des Blancs".
"Le caractère
superficiel et artificiel du
traitement de nombreux films sud-africains est
révélateur d'une société
encore
inhibée par le calvinisme afrikaner qui manipule les notions
de race et de sexe
pour en conforter la structure sociale et raciale"[18].
"La
quasi totalité de la production s'inscrit dans un cadre
commercial dont
l'intérêt est très faible, et qui, au
mieux, ignore l'existence d'une
population majoritairement noire, au pire la montre sous un angle
toujours
négatif".[19]
"Les
Africains, et d'ailleurs aussi les critiques, ne considèrent
pas la production
cinématographique de l'Afrique du Sud (plus de mille longs
métrages) comme des
vrais films africains, mais plutôt comme des films d'un genre
colonial
eurocentrique[20]".
11.3.
Une
"œuvre" de référence : Die Voortrekkers
/ Winning a continent (1916)
Ce film
réalisé par Harold Shaw était souvent
montré
dans les commémorations ou les fêtes
nationalistes. Il glorifiait l'union
sacrée des Blancs (Afrikaners et Britanniques) face
à la population noire.
11.4.
"Les
Dieux…", un film africain
"comique" ?
"La question du comique dans le
cinéma africain
est passionnante à plus d'un titre et d'abord parce qu'elle
paraît évidente :
qui n'entend le rire africain ? qui n'imagine le cinéma
africain d'abord
comme comique ?
Pour cela, on se
réfère sans difficultés à
tous les Africains, avec, par exemple, le petit
Boshiman des "Dieux sont tombés sur la tête"" ( et
tous les
films de Jamie Uys qui, grâce au burlesque, ont su briser les
barrières des
distributeurs). Mais Jamie Uys est un cinéaste sud-africain
blanc, formés aux
USA, réalisant ses films les plus connus non en Afrique du
Sud, mais dans le
libéral Botswana[21]".
Nous pouvons noter l'absence de
toute référence à
l'apartheid dans cet article. Oubli révélateur ?
Il va nous falloir
évoquer l'isolement dont fait
l'objet l'Afrique du Sud à cette époque pour
comprendre le choix de Jamie Uys
de poursuivre sa carrière dans le "libéral
Botswana"…
11.5.
"Les
Dieux…" ou comment contourner
l'embargo qui isole un régime raciste
Les Afrikaners sont
néanmoins ébranlés dans les
années 80, par trois facteurs qui remettent en cause leur
foi dans la
suprématie naturelle des Afrikaans: les condamnations
internationales dont
l'Afrique du Sud fait l'objet pour sa politique d'apartheid (en 1973,
une
convention internationale votée par l'assemblée
générale des Nations Unies
qualifie l'apartheid de crime contre l'humanité ) [] la montée de la
contestation interne des Noirs à partir de 1976;
l'opposition grandissante des pasteurs afrikaans, issus de
l'église réformée
hollandaise (qui condamne l'apartheid en 1986).
Le gouvernement sud-africain,
soumis progressivement
à des embargos depuis les années 70 (le
4 novembre 1977, le Conseil de
sécurité de l'ONU lui-même
décida d'ordonner des sanctions économiques
à l'égard
de l'Afrique du Sud), développe tout un système
permettant de contourner les
sanctions économiques et industrielles en s'appuyant
notamment sur
l'internationalisation des grands groupes financiers ou industriels,
d'investissements dits off shore et sur des
partenaires
politico-militaires (Israël et Taiwan en particulier). Le
capital afrikaans
(majoritaire dans les groupes SANLAM, ABSA,) contribue notamment
à cette
stratégie économique et politique
destinée à préserver la domination
politique
de la communauté blanche.
Les dieux sont tombés
sur la tête, réalisé en
anglais, a été
exploité à l'exportation sous la licence
botswanaise pour contourner l'embargo
qui frappait alors le régime d'Afrique du Sud !
Seul (mais, connaissant son immense
talent, ce n'est
pas une surprise !) le critique de Libération, Serge Daney,
évite le piège :
"(…) C'est par un drôle de tour de passe-passe
qu'on dit de ce film qu'il
vient du Botswana. Oui comme Borg [célèbre joueur
de tennis suédois] vient de
Monaco. On dédouane le film d'une étiquette peu
vendeuse (film blanc
sud-africain) en précipitant tout le monde sur un atlas de
poche. Or le
Botswana, c'est triste pour lui, n'a pas de
cinéma…"[22].
12.
Dans
ce combat contre le racisme, quelques films
dénoncent l'apartheid
Dernière tombe
à Dimbaza, de
Nana Mahomo (1972)
Tourné
clandestinement,
ce documentaire récompensé par de multiples prix
témoigne des conditions de vie
inhumaines des Noirs dans l’Afrique du Sud de
l’apartheid, plus
particulièrement à Dimbaza, un bidonville
d’internement où les enfants meurent
de malnutrition.
L'Afrique du Sud
nous appartient, de Chris
Austin (1979)
A l'aide de
portraits sur le vif de
simples femmes noires, le film dépeint les
différents niveaux de la lutte de la
femme noire pour la dignité humaine face à
l'apartheid. Ce film a été tourné
clandestinement.
D'autres
films seront réalisés sur ce thème,
mais la fin de l'apartheid est proche:
Classified People,
de Yolande Zauberman (1988)
Le Cri de la liberté
(Cry Freedom), de Richard
Attenborough (1988)
Une saison blanche et
sèche (A Dry White Season),
de Euzhan Palcy (1989)
13.
Cinéma
et propagande : plongée dans "l'inconscient collectif"
13.1.
Définition
et Caractéristiques
13.1.1.
Définition
:
Action exercée sur
l'opinion
pour l'amener à avoir certaines idées politiques
et sociales, à vouloir et
soutenir une politique, un gouvernement[23].
13.1.2.
Une
action dont l'objectif est de modifier
l'opinion publique.
"La propagande
politique est un des phénomènes dominants du XXe
siècle. Sans elle,
les grands bouleversements de notre époque (la
révolution communiste et le
fascisme) n'auraient pas été concevables. Certes,
depuis l'origine du monde, la
propagande existe et joue son rôle. La propagande aujourd'hui
est une technique
nouvelle, qui use des moyens (télévision, radio,
photographies, spectacles,
utilisation intensive de symboles, affiches, cinéma, presse,
etc.) que la
science met à sa disposition pour convaincre et diriger les
masses; c'est une
technique d'ensemble, globale, cohérente"[24].
Une bonne propagande (qui
sait s'adapter aux différents publics)
répète inlassablement ses thèmes
principaux, mais en les présentant sous des aspects
variés pour ne pas lasser
("la propagande cesse d'être efficace à l'instant
où sa présence devient
visible" précisait Goebbels[25]).
13.2.
Le
cinéma, la propagande explicite et la
propagande sociologique
13.2.1.
Le
cinéma dans le cadre de la propagande
explicite
Pour les régimes
totalitaires, le cinéma est un élément
central pour la propagande, car il a un
impact important sur les masses (fonctionnement inconscient, illusion
de la
réalité qu'il provoque)[26].
Les nazis, dans le cadre
de l'"Etat total" vont produire des films racistes,
antisémites,
totalement répugnants, mais aussi des actualités
hebdomadaires, des
documentaires, des reportages.
Le Ministère de la
Propagande
fut créé en 1933 : une censure de fer permettait
alors de contrôler les
spectacles, les médias, l'enseignement, la culture.
"Goebbels et Hitler
passaient des journées entières au
cinéma. Et lorsque Goebbels dirigea la
production d'un film, tel « Le Juif
Süss » par exemple, il participa
activement à toutes les phases de la réalisation[27]".
Le cinéma a servi
à
caricaturer l'adversaire, à le rendre haïssable.
Plus
précisément, rapportent
Francis Courtade et Pierre Cadars, dans le cadre de leur guerre contre
l’Angleterre, les nazis vont réaliser un film
à la gloire des... Boer
(« Ohm Krüger » / Le
Président Kruger, réalisé pour la
Tobis en 1941
par Hans Steinhoff, avec Emil Jannings dans le rôle titre).
Fin du film :
Alors que les soldats anglais parquent
les
Boers dans des camps de concentration, les affament et au final les
massacrent,
le film se conclut par un discours du Président Kruger,
depuis sa chambre
d’hôtel en Suisse :
«Voilà comment l’Angleterre a soumis
notre petit
peuple par les moyens les plus cruels. Mais des peuples grands et
puissants se
lèveront contre la tyrannie britannique. Ils
écraseront l’Angleterre. Dieu sera
avec eux, alors la route sera ouverte vers un monde
meilleur ».
Dans ce film de propagande
produit par les Nazis, les Noirs correspondent (sans surprise) aux
stéréotypes
habituels. Autre extrait du film : «Les Noirs se
sont révoltés. Chez les
Noirs. Danses guerrières. Case du chef. Le chef,
revêtu d’un uniforme anglais,
met la dernière main à sa toilette. Au mur, un
portrait de la reine Victoria.
Colère de Kruger. Il va aux fusils alignés contre
le mur. « Je te fais
écorcher vif et je te transforme en peau de tambour si tu ne
me dis pas qui t’a
donné ces fusils ! » Le chef
cède. Discours du chef, puis de Kruger
(dans le dialecte local) aux noirs
assemblés »[28].
13.2.2.
Le
cinéma dans le cadre de la propagande
"sociologique" ou propagande "douce"
On peut aussi envisager la
propagande d'un point de vue global, intégrant tout ce qui
tend – et à notre
insu – à nous imposer des modèles de
comportement. Lorsque Jamie UYS, cinéaste
afrikaner, réalise une "comédie", il le fait avec
certaines
intentions expresses et délibérées
(connaître le succès auprès du public,
faire
rire, être reconnu par les autres cinéastes, etc.).
Ces intentions ne
constituent pas un élément de propagande.
L'élément de propagande se trouve
dans le fait que ce cinéaste, dans son film, exprime (en
maîtrisant plus ou
moins ce processus), le mode de vie, tenu pour
"normal" et évident, des Blancs d'Afrique du
Sud. Par le moyen
de structures économiques, sociales, politiques, se
constitue et se renforce
une certaine idéologie qui a pour fonction d'adapter et
d'intégrer les
individus (Blancs et non-Blancs) à cette
société. Cette propagande ne s'exprime
pas par des mots d'ordre, des slogans, des intentions clairement
énoncées. Elle
se constitue par une sorte de climat, d'ambiance, qui agit de
façon
inconsciente sur les individus. Chacun d'entre nous peut même
l'exprimer comme
une opinion personnelle ("les bons sauvages sont au fond plus
raisonnables
que les Blancs civilisés") ou "(les Noirs auront toujours
besoin de
la technologie des Blancs pour se développer"), preuve que
le message
idéologique a été parfaitement
intégré. La propagande sociologique va
révéler,
mettre à jour, des stéréotypes, des
"évidences", des
"hiérarchies entre les races" enfouies dans l'inconscient,
mais qui
ne demandent qu'à être
réactivées. Le cinéma est aussi un
processus de
socialisation, un élément du "vivre-ensemble",
pour le meilleur et
pour le pire !
13.3.
Quand
l'Afrique du Sud recourt à la propagande
explicite par le cinéma
L'Afrique du Sud a
inévitablement des problèmes avec
son image de marque dans le monde où sa politique
d'apartheid inspire
l'horreur. Pour tenter de l'améliorer, elle recourt
à deux types de documentaires
: les premiers sont conçus dans l'optique de justifier ses
pratiques à
l'étranger (c'est un des rôles principaux du
Ministère de l'Information et des
Affaires étrangères), tandis que d'autres visent
à convaincre les Noirs
d'accepter le statut qui leur est fait dans les homelands
La marque distinctive de ces films
est leur mode
d'énonciation : une voix off anonyme qui
représente la
"connaissance". Cette voix représentant
"l'Autorité", les
spectateurs sont induits à conclure qu'il s'agit d'une
authentique description.
La relation présentateur public ne se fonde pas sur une
démonstration, mais sur
une identité émotionnelle. Les films du
Ministère de l'Information tissent une
trame délicate, utilisant l'"évidence" visuelle de la
"réalité" sélectionnée[29].
En 1980 (année de
réalisation des "Dieux…),
face aux troubles incessants dans le monde du travail et aux
boycottages
d'écoles, le ministère produit "A place called
Soweto" qui donne une
image positive d'une communauté urbaine soi-disant
prospère, sans que la
population de Soweto ait eu la possibilité de
s'exprimer…
14.
Le
passé colonial de la France : une mémoire
effacée, une plaie toujours ouverte ?
14.1.
« Egalité,
Fraternité » certes,
mais quelques faits
révèlent un malaise
certain...
§
1931
: Dans le cadre de
l'exposition coloniale, présentation au public
parisien d'un "village nègre" ou "zoo humain"
§
Election
présidentielle
de 2002 (premier tour) : 5,467 millions de
Français (19,2 % des suffrages exprimés) font
confiance à l'extrême droite
xénophobe (M. Le Pen et M. Mégret).
§
Article
4 de la Loi du 23
Février 2005 : "Les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le rôle positif de la
présence française outre-mer
et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants
de l'armée
française issus de ces territoires la place
éminente à laquelle ils ont
droit".
§
Mars
2006 : une information
stupéfiante fait l'effet d'une bombe dans
le petit monde des médias français. Pendant les
vacances de Patrick Poivre
d'Arvor, c'est un journaliste… Noir (Harry Roselmack) qui va
dorénavant
présenter le Journal
télévisé de TF1 !
§
« Des
bleus et
des blessures : « On nous dit que
l’Equipe de France de foot est adorée de tous
parce qu’elle est « black,
blanc, beur » ; en fait,
aujourd’hui, elle et « black, black,
black » ce qui fait ricaner toute
l’Europe » : Alain
Finkielkraut, novembre 2005. « Dans cette
équipe, il y a neuf
blacks
sur
onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou
quatre [...]. J’ai honte pour
ce pays ».
Georges Frêche, ex-Député-maire
socialiste, novembre 2006 »[30].
§
2007
: création d'un
Ministère
de "l'Immigration, de l'Intégration, de L'IDENTITE NATIONALE
et du Développement solidaire".
"Au
ministère de l'Immigration, le nombre de reconduites
à la frontière fait partie
des critères d'évaluation"[31].
14.2.
Le
cinéma colonial : des héros magnifiques au
service d’une mission civilisatrice
"La naissance du cinéma
a été contemporaine de
l'apogée du colonialisme : au début du
siècle, la France et l'Allemagne se
partagent l'Afrique. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant
que les films
d'aventures exotiques hollywoodiens rendent hommage à
"l'héroïsme" de
l'explorateur blanc (on passe pudiquement sur les massacres qui ont
permis
l'établissement des occidentaux…) qui triomphe de
"l'indigène sauvage".
C’est ainsi que Jean de
Baroncelli réalise en 1939
« L’homme du Niger »,
(avec Victor Francen et Harry Baur), l’histoire
édifiante d’un médecin
dévoué qui se sacrifie à ses malades
africains.
« Ce film procède à la fois du
documentaire et du drame, brossant à
l’envie le portrait de quelques apôtres de la
colonisation, un militaire, un
ingénieur et un médecin [32]».
Dans les années 70, les
conflits qui déchirèrent de
nombreux pays africains continuèrent à inspirer
d'innombrables films de guerre.
Dans le rôle du héros, le mercenaire a pris le pas
sur le général impérialiste
et le colon, mais l'idéologie, en fin de compte, reste la
même. "Les oies
sauvages" (film anglais de1978) nous montre Richard Burton, Roger Moore
et
Richard Harris comme de "braves types", tandis que les Noirs,
combattants des luttes nationales, restent les ennemis à
abattre"[33].
Hélas, les
stéréotypes véhiculés par
le cinéma
français ne vont pas contribuer à rapprocher les
peuples : "Les
Maghrébins apparaissent sur l'écran
des Européens à travers deux caricatures : ou
bien ils sont confinés au statut
de simple élément du décor, au
même titre que le palmier, le chameau et la
mosquée, ou bien ils sont les vilains que leur
méchanceté congénitale pousse
à
se dresser contre les bienfaits de la mission civilisatrice de la
France : le
regard sournois, la barbichette vicelarde, ils sont toujours
prêts, piqués par
leur fanatisme religieux, à dégainer le poignard
courbé qui pend à leur
ceinture[34]".
15.
La
France de 1983 : "Tu n’as – presque - rien vu
à
Johannesburg !!! »
15.1. Les deux affiches du film ou comment "effacer" des Blancs trop présents.
15.1.1. l'affiche de 1982
Au centre de l'affiche, un grand
arbre. Devant cet
arbre les deux héros blancs
(vétérinaire et institutrice) se sourient. Loin
de
poser, immergés dans la végétation,
leur attitude est "décalée" (elle
ne porte qu'un soutier-gorge très
décolleté). Par montage photographique, un
singe semble perché à la fois dans les hauteurs
de l'arbre et sur la tête du
vétérinaire qui s'incline
légèrement. Dans l'angle gauche de l'affiche, un
groupe de Noirs se tient en embuscade. Xi, le "bon sauvage", se tient
debout, (en "costume de "bon sauvage", écrasé par
un soleil
brûlant), dans la partie inférieure gauche de
l'affiche. Le titre du film
couvre ses jambes. La place de Xi n'est pas négligeable,
mais c'est bien le
couple Blanc qui occupe symboliquement le centre de l'affiche. La
droite de
l'affiche est occupée par une voiture qui semble suspendue
à l'arbre, un homme
prisonnier transporté sur un tronc d'arbre et un animal
sauvage. Les tonalités
sont très naturelles (vert de l'arbre – jaune ocre
du fond). Le titre du film
s'inscrit en rouge vif au bas de l'image (caractères
légèrement ascendants). En
bas à droite de l'image, en dehors du cadre "africain", en
caractères
peu lisibles,
on trouve le générique du film
(réalisateur, acteurs, et…). En haut de
l'affiche, très lisible, est inscrit ;"Grand prix du
festival d'humour –
Chamrousse – 1982).
15.1.2. Une nouvelle affiche sur la version DVD
La tête de Xi occupe la
moitié gauche de l'affiche
(son visage est légèrement coupé dans
sa partie gauche). Il est notre amical
complice. Il nous regarde et sourit largement découvrant des
dents, blanches et
sans défaut. Son cou est découvert; il est
coiffé comme un héros de série
nord-américaine, l'éclairage de ses traits est
agréable, équilibré : la couleur
de sa peau paraît donc plus claire que dans la
première affiche. Dans sa main
gauche, Xi tient une bouteille vide. Cette bouteille porte la mention,
très
lisible : "Coca-Cola". Le fond de la photo représente un
ciel bleu
très clair, avec quelques nuages diffus. Le titre du film
est indiqué (en
caractères "orange") en haut de l'affiche. Le "ê"
de tête
est renversé. Le couple "Blanc", au centre de la
première affiche,
les références explicites à l'Afrique
(population, faune, flore, couleurs) ont
été effacés !… L'affiche
synthétise le nouveau "message" du film : la
"culture" occidentale et le "bon sauvage", au final si
proche de nous, si loin de l'Afrique...
15.2.
La
réception du film par la presse française en
1983 : de la Gauche à la Droite,
« que du Bonheur » !
15.2.1.
Petit
panorama critique
Alors que les actualités
télévisées de
l’époque montraient au monde horrifié
des Noirs arrêtés,
incarcérés, réprimés... la
critique cinématographique (tous bords confondus)
découvrait, émerveillée, le charme du
cinéma d’Afrique australe. Et pourtant…
"Il doit être clair qu'un bon critique est toujours peu ou
prou un
analyste, au moins en puissance, et qu'une de ses qualités
est précisément son
pouvoir d'attention envers les détails. Toutefois la myopie
analytique peut se
transformer en aveuglement…[35]".
§
Guy
Gauthier ("La Revue du
Cinéma – Janvier 1983) : "Jamie
Uys a réalisé de nombreux films dans son pays
natal, l'Afrique du Sud. Le
dossier de presse ne dit pas qu'elles étaient ses raisons de
quitter l'opulente
Afrique du Sud pour l'Etat voisin du Botswana. (…) Tour
à tour émouvants et
drôles, les rapports entre le bon sauvage et le savant
naïf ont cette épaisseur
des grands personnages de comédie, archétypaux et
singuliers à la fois".
§
Anne
Tarqui ("Cinéma 83"
– Févier 1983) : "Décrivant le
choc de deux mondes, Jamie Uys a choisi le ton de la comédie
: le spectateur
n'aura donc droit à aucun jugement moral. (…)
Quelques difficultés décrites
dans le film ont été rencontrées
pendant le tournage : Xao, le Bushmen
interprète de Xi, ne connaissait ni le mot travail ni le mot
salaire…".
§
Claude
Baignères ("Le
Figaro" – 21/01/1983) : "Ce film
nous arrive du Botswana, un état quelque part en bas
à droite de l'Afrique. Il
s'agit d'humour anglais, revivifié, galvanisé par
un pays neuf.(…) Jamie Uys
est un bienfaiteur de l'humanité."
§
Marie-Francoise
Leclère
("Le Point" – 26/06/1983) : "Le
Botswana, c'est tout droit en descendant l'Afrique. (…)
Jamie Uys est prophète
en son pays. Né à Bocksburg, près de
Johannesbourg, dans une famille
d'instituteurs, il fait des études de sciences à
Prétoria, devient mineur, puis
à son tour instituteur et enfin fermier. En 1949, son
frère lui donne une
caméra 16 mm d'occasion. (…) Le film est un
triomphe public; à ce miracle, on
aimerait trouver une explication : style coup de cœur,
universalité des grands
sentiments, bonheur des premiers matins du monde… et des
premières images du
cinéma".
§
Alain
Riou ("Le Matin de Paris"
– 19/01/1983) : "La
projection en France des "Dieux…" est, dans le monde du
cinéma, un
véritable événement : c'est
l'entrée chez nous du cinéma d'Afrique australe,
par l'entremise du Botswana, Etat associé au Commonwealth.
(…) Ce film est une
leçon de sagesse. Et de cinéma".
§
Anne
de Gaspéri "Le
quotidien de Paris" – 27/01/1983) : (…)
"N'hésitez pas à suivre l'itinéraire
de cette farce désopilante et
astucieuse, une admirable satire de nos civilisations
automatisées, entre
Keaton et Tati, plus un grain de folie africaine".
§
"Pourquoi
?" – Mars 1983
: "Les Dieux…" est une
comédie bien menée, variée, pleine de
rythme, diablement agréable".
§
Jean
Collet "Etudes" –
Mars 1983 : (…) Il y a ici un bonheur
de filmer qui ne s'embarrasse d'aucune contrainte. Innocence,
légèreté, grâce
d'un jeu qui va plus loin qu'il n'y paraît,
emporté par la force décapante et
tonique de l'humour. (…) Quelle pudeur, quelle
élégance!"
§
Michel
Pérez "Le Matin
de Paris" – 22/01/1983 : "Le
Botswana n'abrite certes pas de nouvel Hollywood, mais il a su attirer
le
cinéaste sud-africain Jamie Uys, natif des environs de
Johannesburg, et dont
les qualité professionnelles sont irréfutables".
15.2.2. Jacques Siclier, critique du journal "Le Monde", succombe lui aussi au chant ambiguë des sirènes australes…
Jacques Siclier[36]
("Le Monde" –
22/01/1983) : "Le Botswana est une ancienne colonie anglaise d'Afrique
du
Sud devenue indépendante en 1966. Donc voilà un
film botswanais réalisé par un
cinéaste blanc (il tourne depuis trente ans) qui en est
aussi le scénariste, le
producteur et le caméraman. (…) Le film de Jamie
Uys a fait rire, paraît-il
dans de nombreux pays. On aurait mauvaise grâce à
ne pas, au moins,
sourire".
J'ai réalisé
cette analyse des "Dieux sont
tombés sur la tête" en 1986. A
l'époque, j'ai fait parvenir le résultat de
mes réflexions à Jacques Siclier, au journal le
Monde. Il m'a répondu par
courrier[37]
de la manière suivante : "Monsieur, rangeant des papiers
avant de partir
en vacances, je me suis aperçu que je n'ai jamais
répondu à votre lettre du 28
avril. J'en suis confus. Je viens d'ailleurs de relire l'article
concernant
l'analyse des "Dieux sont tombés sur la tête" et
j'ai trouvé dans
votre travail beaucoup de choses qui n'étaient pas dans mon
papier. Vaste champ
de réflexion… Très
sincèrement, je vous félicite pour ce travail.
Croyez
Monsieur à mes bien sincères sentiments".
15.3.
Victoire
de la "gauche", "main
tendue" au Tiers-Monde et condamnation de l'apartheid
Mai 1981 : une majorité
de la "gauche"
socialo-communiste amène François Mitterrand
à la Présidence de la République.
Au sommet franco-africain de novembre 1981, il déclara
à la totalité des chefs
d'Etat africains qu'il ne saurait concevoir l'action de la France dans
leurs
pays sans la justice. «Nous nous tiendrons à vos
côtés, leur promit-il, pour
bannir le tragique spectacle de la violence, de la
répression et, dans combien
d'endroits du monde, du colonialisme et de l'apartheid.»
[En Mai 2001, à
l’initiative de la Député
guyanaise Christine Taubira, la France reconnaît
l’esclavage et la traite
négrière comme crimes contre
l’Humanité].
15.4.
Hypothèses
concernant la réception du film en
1983
(…)"Les films
s'adressent indistinctement à
tous les milieux (admettons-le provisoirement) mais les configurations
de
signes qu'ils proposent sont accueillies et
interprétées de manière
particulière
dans chaque groupe[38]".
§
Pour
les
"Paternalistes » :
stéréotypes habituels du
cinéma colonial ( les Blancs seuls sont porteurs de
Civilisation, les Noirs
sont au mieux des « grands
enfants » qu’il faut protéger,
au pire des
terroristes sanguinaires qu’il convient de combattre. Au
final, nul besoin de
se mobiliser : « chacun
(Blancs et Noirs) est à sa
place » !
§
Pour
les "Défenseurs des
Droits de l'Homme » : le Blanc
a mis en place une société presque parfaite, mais
qui pourrait causer quelques
désagréments (problèmes
écologiques ou excès d’individualisme).
Le contact avec
le « bon sauvage », si
« sage », si proche de la Nature,
ne
peut qu’être bénéfique pour
se
« régénérer »
(mais, passé le temps de
l’action commune, de
« l’aventure », chacun
revient dans sa
civilisation, « à sa
place » ; il reste, pour les Blancs de
merveilleux et rafraîchissants souvenirs, des images de
vacances
exotiques....). Nul besoin de se mobiliser, de faire preuve
d’un
engagement politique
particulier,
puisque la situation finale est désormais apaisée.
§
Pour
tous (près de six
millions de Français qui ont vu le
film...) : dans notre tradition française
d'universalisme abstrait,
paradoxalement, les deux discours peuvent fusionner plus ou moins
complètement ; c’est ce qui explique sans
doute le succès du film, qui
balaie largement le spectre des opinions et des sensibilités
sur l’Afrique et
ses habitants, mais tout en douceur : chacun observe les
visions du monde
de « l’autre camp »,
mais la fiction « humoristique » anesthésie au
final les mises en garde de
l’esprit critique. En 1983, la
« repentance » n’est
pas encore à
l’ordre du jour ; en 1983, Nelson Mandela est
déjà en prison pour défendre
son idée d'égalité entre les races
(qui est aussi l’idéal de notre
République !)
depuis plus de vingt ans…
16.
Conclusion
: l'analyse de
film, une discipline
à part entière !
On comprend mieux maintenant le
contexte particulier
dans lequel ce film a été
réalisé. Il est tout à fait surprenant
de constater
combien les critiques de cinéma de l'époque
(à l'exception notable de Serge
Daney) ont refusé de voir, et donc d'analyser comment "Les
Dieux…"
reflétaient au final (certes, en les édulcorant,
en les rendant plus
présentables), les thèses justifiant la
discrimination raciale en Afrique du
Sud. Il est aussi surprenant de découvrir, en 2008, que des
enseignants
utilisent ce matériau filmique sans avoir mis en place le
travail qui semble
prioritaire, celui de l'analyse du film.
Emettons l'hypothèse que
les films, auxquels nous
accédons avec tant de facilité aujourd'hui,
doivent faire l'objet (comme un document historique, une
carte de
géographie, une fleur ou la manière de se
déplacer dans l'eau) de théories et
d'outils d'analyse spécifiques. Le cinéma, porte
d'entrée royale dans
l'imaginaire social, passe d'abord par une
société qui produit des films, et
qui les consomme par la suite.
Comment pourrait-on oublier que de
nombreux états
totalitaires ont réalisé de savoureuses
comédies ou des films d'aventure
follement divertissants dans le cadre de propagandes visant
à conditionner
leurs spectateurs ? Analyser les films, c'est d'abord effectuer un
travail
d'historien ("Interroger la société, se mettre
à son écoute, tel est à mon
avis, le premier devoir de l'historien[39]").
On peut alors considérer le film comme un complexe entier et
original de
significations, un peu à la manière d'"un puzzle
dont le véritable sens
apparaît peu à peu. Bien évidemment, ce
travail d'analyse nécessite de
mobiliser les autres disciplines des sciences humaines ! On peut
espérer, en
2008, que cet enjeu culturel majeur se renforce encore dans la
formation
initiale des enseignants… ("la finalité de
l'école est de permettre à
chacun de participer au jeu de la construction des personnes.
L'important,
c'est la rencontre[40]
).
Par ailleurs, alors que notre
planète, en ce début
de 21° siècle connaît des tension
aggravées ("émeutes de la faim"),
est-il utopique d'espérer que, dans le cadre de l'Education,
le cinéma lui
aussi puisse exalter les vertus du métissage et du partage
des cultures ?
Gérard Hernandez (Lauréat de l'accréditation en Cinéma-Audiovisuel)
Enseignant-documentaliste
au collège François
Mauriac de Saint-Médard en Jalles (33).
Article
rédigé en 1986 –
(réactualisé en
2008)
Article
réalisé avec la documentation de l'espace
"Cinéma –Histoire" de la
Médiathèque de Pessac (33).
[Cet article est
dédié à la mémoire de
Saartjie Baartman – femme bochiman qui fut exhibée
par son maître, petit
fermier d’Afrique du Sud, dans les foires
européennes. Présentée au public
comme une « semi-guenon », elle
mourut à Paris en 1815 et son corps
fut disséqué par notre grand naturaliste Cuvier.
Les organes de Saartjie
Baartman sont restés trop longtemps sur une
étagère semi oubliée du
musée de
l’Homme. Cette femme est
plus connue par
son surnom : « la Vénus
Hottentote [41]».
[1] Ferro, Marc (sous la direction de) – « Le livre noir du colonialisme » - Robert Laffont -2003.
[2] Davis, Peter – "Les dieux sont tombés sur la tête : délices et ambiguïtés de la position du missionnaire" in CinemAction 39 – Cerf - 1986
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[4] Tulard, Jean – "Guide des films" – Robert Laffont – collection Bouquins – 2002.
[5] Wieviorka, michel – La République, la colonisation et après – "La fracture coloniale" – La Découverte – 2005.
[6] Mai 2008 : des violences xénophobes font une vingtaine de morts et entraînent le déplacement de 15 000 personnes.
[7] Ferro, Marc – La colonisation française, une histoire inaudible – "La fracture coloniale" – La Découverte - 2005
[8] Vanoye, Francis – Goliot-Lété, Anne – "Précis d'analyse filmique" – Nathan Université – 1992.
[9] http://cinehig.clionautes.org
[10] Philosophie et spiritualité – http://sergecar.club.fr
[11] Article "Afrique du Sud" – Encyclopédie AXIS – Hachette.
[12] Article "Afrique du Sud" – Encyclopedia Universalis.
[13] Article "Botswana" – Encyclopedia Universalis – 1983.
[14] Haustrate, Gaston – Pays africains, rien de vraiment changé sous le soleil – "Guide du cinéma mondial" – Tome 2 – Syros – 1997.
[15] Article Jamie Uis – encyclopédie Wikipédia.
[16] Tomaselli, K. –le rôle de la Jamie Uys Film Company – "Le cinéma sud-africain est-il tombé sur la tête ?" – CinémAction 39 – Cerf – 1986.
[17] Dr Martin Botha Département de Communication Université d'Afrique du Sud - Traduit de l'anglais par Jean-François Cornu – Festival des trois continents – Nantes - 2005
[18] Tomaselli, Keyan – L'évolution du cinéma sud-africain - "Le cinéma sud-africain est-il tombé sur la tête ?" CinémAction 39 – Cerf - 1986.
[19] Labarrère, André – Le cinéma en Afrique du Sud – "Atlas du cinéma" – Le livre de Poche – La Pochothèque – 2002.
[20] Convents, Guido – "l'Afrique ? Quel cinéma" – Africalia / EPO - 2003
[21] Haffner, Pierre – En Afrique, les cinéastes ne sont pas tombés sur la tête – "Le comique à l'écran" – CinémAction 82 – Corlet Télérama – 1997.
[22] Daney, Serge – Veld
side story –
"Libération" –
[23] Rey, Alain (édition revue et enrichie par) – "Le grand Robert de la langue française" - 1986
[24] Domenach, Jean-Marie – "La propagande politique" – PUF – Que sais-je 448 – 1973.
[25] Liandrat-Guigues, suzanne – Leutrat, Jean-Louis – Penser le cinéma – Kliencksieck – Etudes – 2001.
[26] Marty, Alain – Le cinéma et la propagande – "La revue du cinéma" n°325 – Février 1978.
[27] Ferro, Marc – Cinéma et Histoire – Denoël /Gonthier – Mediations – 1977.
[28] Courtade, Francis – Cadars, Pierre – « Histoire du cinéma nazi » - Eric Losfeld – collection cinémathèque de Toulouse - 1972
[29] Steenveld, Lynette – Les documentaires de propagande – "le cinéma africain est-il tombé sur la tête ?" CinémAction 39 – Cerf – 1986.
[30] Leclère, Thierry – Comment les joueurs noirs de l’équipe de France de foot vivent le racisme – Télérama n°3046 – 28/05/2008
[31] Bommelaer, Claire – L'évaluation des Ministres se fait dans la discrétion – "Le Figaro" – 04/04/2008
[32] Dallet, Sylvie – Filmer les colonies, filtrer le colonialisme – « Le livre noir du colonialisme » - Robert Laffont – 2003.
[33] Le cinéma occidental face au Tiers-Monde – "Le Cinéma" – Volume 7 – Editions Atlas – 1983.
[34] Boulanger, Pierre – "le cinéma colonial" – Cinéma 2000 – Seghers – 1975.
[35] Aumont, Jacques – Marie, Michel – "L'analyse des films" – Nathan – Université – 1988.
[36] Jacques Siclier est un critique de grand talent et un spécialiste reconnu pour, notamment, son travail sur le cinéma de la France de Pétain.
[37] Lettre du 30 juillet 1986.
[38] Sorlin, Pierre – "Sociologie du cinéma" – Aubier – collection historique – 1977.
[39] Ferro, Marc – "Cinéma et Histoire" – Gonthier – Médiations – 1975.
[40] Jacquard, Albert – "Nouvelle petite philosophie" – Stock – 2005.
[41] Coquery-Vidrovitch, Cécile – Le postulat de la supériorité blanche et de l’infériorité noire - opus cité.
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